Compte rendu du colloque de l'Association des Hautes Juridictions de cassation des pays ayant en partage l'usage du français (l'AHJUCAF) sur l'exécution des décisions de justice dans l'espace francophone du 23 mars 2012 à la Cour de cassation à Paris
Communication de Monsieur Antoine OLIVEIRA, Président de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA (CCJA) sur « L'exécution des décisions de justice dans l'espace de l'OHADA ».
L'AEDJ a le plaisir de vous restituer le compte rendu partiel (les aspects du droit de l'OHADA) des échanges qui ont fait l'objet du colloque portant sur le thème sus-référencé. Les communications se sont articulées tour à tour sur l'exécution des décisions pénales (I), l'exécution des décisions civiles (II), l'exécution des décisions juridictionnelles par les personnes publiques (III) et l'exécution des décisions en Afrique et en Europe (IV). Les communications sur l'exécution des décisions pénales ont été brillamment présentées par les Présidents Jacques BUISSON (conseiller à la Chambre criminelle de la Cour de cassation) pour l'expérience française et Jacques MAYABA (Président de la chambre judiciaire de la Cour suprême du Bénin) pour l'expérience béninoise.
Concernant l'exécution des décisions civiles, l'expérience française a été brillamment présentée par M. Jean-Louis GILLET, Secrétaire général de l'AHJUCAF et l'expérience libanaise par le Président Ghaleb GHANEM, Président de l'AHJUCAF et premier Président honoraire de la Cour de cassation du Liban. L'expérience africaine, qui portait principalement sur l'expérience dans l'espace de l'OHADA a été brillamment présentée par Maître Françoise ANDRIEUX, Huissier de justice à Roquevaire et Secrétaire général de l'Union internationale des Huissiers de justice (voir le compte rendu de sa communication infra -2-)
L'exécution des décisions juridictionnelles par les personnes publiques a fait l'objet de deux brillantes communications du Professeur Fabrice HOURQUEBIE (Université de Bordeaux IV) et du Président Jacques LEGER, Conseiller d'État. Les orateurs ont mis l'accent, le premier, sur l'exécution des décisions juridictionnelles par les personnes publiques et le second sur l'adhésion de l'administration aux décisions de son juge.
Concernant la quatrième table ronde, le Président Antoine OLIVEIRA a brillamment fait un état des lieux de l'exécution des décisions de justice dans l'espace de l'OHADA avant de faire quelques suggestions pour une meilleure exécution des décisions de justice dans cet espace juridique intégré (voir le compte rendu de sa communication ci-après).
L'EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE DANS L'ESPACE DE L'OHADA
M. Antoine OLIVEIRA, Président de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) de l'OHADA
Le Président OLIVEIRA commence son propos par une brève présentation des motivations de la création de l'espace juridique de l'OHADA. Il affirme qu'en un mot, le but de l'OHADA est de promouvoir le développement des investissements des États Parties grâce à la sécurité juridique et judiciaire. Le droit élaboré par l'OHADA est un droit favorable aux investissements privés, il faut, dit-il, attirer les investisseurs. On va les attirer par un droit attractif. La sécurité juridique au cœur de l'entreprise de l'OHADA s'est concrétisée dans les différents textes produits par l'OHADA. L'Acte uniforme sur les voies d'exécution est l'instrument juridique qui favorise les besoins d'exécution des décisions de justice dans l'espace de l'OHADA.
Concernant l'exécution des décisions de justice proprement dite dans l'espace de l'OHADA, il affirme que le bénéficiaire d'une décision de justice est confronté à deux problèmes essentiels dans l'espace de l'OHADA : comment exécuter les décisions de justice dans un autre État Partie et comment faire pour recouvrer les frais exposés pour le recouvrement.
Il précise qu'à l'origine de l'entreprise de l'OHADA, il était question de faire d'une décision de justice un titre exécutoire régional exécutoire sur les territoires de l'ensemble des États Parties. Cette proposition ambitieuse s'est heurtée aux résistances des thèses souverainistes (les thèses intégrationnistes n'ont pas triomphé) et cette proposition a été abandonnée. L'organisation judiciaire au niveau de l'OHADA comprend les juridictions nationales (ordre national) et la CCJA (ordre supranational). Cette dualité des ordres juridictionnels rejaillit également sur l'efficacité des décisions rendues par les différentes juridictions compétentes. Les décisions définitives (qui sont revêtues de la force de chose jugée) rendues par les juridictions nationales ont besoin d'exequatur pour être exécutées dans les territoires des autres États Parties de l'espace de l'OHADA. Ces décisions doivent faire l'objet d'une reconnaissance et d'un exéquatur du juge compétent de l'État dans lequel l'exécution doit être poursuivie.
Concernant les décisions de la CCJA, il faut en distinguer deux sortes : les sentences arbitrales rendues sous l'égide du centre d'arbitrage de la CCJA et les arrêts rendues en matière contentieuse par la CCJA. Le législateur de l'OHADA a supprimé l'exigence de l'exequatur concernant les sentences arbitrales rendues sous l'égide du centre d'arbitrage de la CCJA de l'OHADA. Pour être exécutées, ces sentences arbitrales, qui conformément à l'article 25 du Traité de l'OHADA, sont revêtues de l'autorité définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque État Partie, peuvent faire l'objet d'une exécution forcée en vertu d'un exequatur qui ne peut être délivré que par ordonnance du Président de la CCJA. Lorsque figure sur la sentence rendue par la CCJA une attestation d'exequatur, l'autorité nationale, au vue de la copie de la sentence revêtue de cette attestation, appose la formule exécutoire sur la sentence de la CCJA sans aucune autre forme de procès. L'exequatur a un caractère communautaire alors que la formule exécutoire a un caractère national. Concernant les arrêts rendus par la CCJA, ils sont revêtus de l'autorité de chose jugée et la force obligatoire et exécutoire sur les territoires de tous les États parties (article 20 du Traité, les articles 41 et 46 du règlement de procédure de la CCJA). Les autorités chargées d'apposer cette formule exécutoire peut être un fonctionnaire de l'État, un magistrat ou un greffier. La désignation de l'autorité compétente en la matière relève de la compétence des États Parties. Si l'exequatur de la sentence arbitrale est refusé par le président, le requérant peut saisir la Cour sur le fondement de l'article 30.4 du règlement d'arbitrage de la CCJA. Concernant les sentences arbitrales rendues en vertu d'un arbitrage ad hoc, l'exequatur est accordé par le juge compétent dans l'État partie dans lequel l'arbitrage avait son siège.
Les formalités d'obtention de l'exequatur peuvent également être aménagées par les conventions bilatérales. C'est le cas de plusieurs conventions de coopération judiciaire qui existent entre la France et les États de l'espace de l'OHADA.
Au niveau de la CCJA, les matières contentieuses essentielles concernant l'exécution sont la saisie attribution, la saisie vente et les saisies conservatoires. Le Président OLIVEIRA a rapporté les faits d'une espèce dans laquelle une banque créancière avait fait vendre le logement d'un débiteur défaillant en mettant en œuvre la clause de voie parée que contenait le contrat de prêt. Le débiteur avait demandé le crédit et la banque le lui avait accordé. Dans le contrat, il y avait une clause qui stipulait qu'en cas de défaut de paiement, sa maison qui garantissait le remboursement de son crédit sera vendue de gré à gré. À échéance, la banque a donc vendu la maison de gré à gré comme le contrat le stipulait. Le débiteur a donc saisi les juridictions de fond et ensuite le contentieux est arrivé devant la CCJA. Le débiteur malheureux soutenait qu'en vertu de l'Acte uniforme sur les voies d'exécutions dans l'espace de l'OHADA, la vente se fait par voie d'huissier et non de gré à gré et demandait donc l'annulation de cette vente. Face à ce contentieux, la Cour a privilégié l'essor du crédit à l'intérêt du débiteur. Finalement la Cour a fondé sa décision sur la fonction de l'hypothèque et a donné raison à la banque. Tout cela pour sauvegarder l'intérêt du crédit dans l'espace de l'OHADA. Une décision favorable au débiteur aurait conduit les banques à fermer le robinet du crédit à la majorité de leurs clients.
Il souligne en passant que les États africains signent très aisément les clauses compromissoires, mais contestent souvent leur validité lorsqu'ils sont attraits en justice devant la CCJA. Lorsqu'ils sont condamnés, ils rechignent à payer, à exécuter. Les États africains sont prompts, dit-il, à exécuter les décisions étrangères, notamment les sentences arbitrales rendues sous l'égide de la Chambre du Commerce International de Paris (CCI) et rechignent à exécuter celles rendues sous l'égide de la CCJA de l'OHADA ainsi que les décisions de la CCJA. En conclusion, le Président OLIVEIRA recommande qu'il faudrait, pour que les décisions soient bien exécutées dans l'espace de l'OHADA, que les États abandonnent leurs souveraineté et appliquent correctement les textes de l'OHADA, donnent les moyens adéquats aux autorités chargées d'exécuter les décisions de justice. En un mot, il souligne que l'implication effective et concrète des États parties est la clé du succès continu de l'OHADA.
2- L'expérience en Afrique
Françoise ANDRIEUX, huissier de justice à Roquevaire (France), secrétaire Général de l'Union internationale des Huissiers de justice
Me ANDRIEUX commence son propos en précisant qu'au sein de l'union internationale des huissiers de justice, l'Afrique tient une place importante dans leur programme. Les huissiers de justice tiennent, affirme-t-elle, une place importante dans a mise en œuvre de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution.
Selon les informations en sa possession, il existerait entre 2500 à 3000 huissiers de justice dans l'espace de l'OHADA et leur niveau d'étude varie entre la licence et le Master 1.
Mais la mauvaise répartition géographique de leur office, la concentration dans les zones urbaines, crée des zones d'exécution ralentie des décisions de justice. C'est le cas dans villes de petite taille qui n'ont souvent pas d'huissiers de justice.
Concernant l'exécution proprement dite, il existe une double difficulté : le silence de l'Acte uniforme et la volonté du législateur de l'OHADA à recourir aux droits nationaux ; la conciliation de la logique des droits originellement africains.
- Difficultés portant sur les principes généraux édictés par l'Acte uniforme
Les difficultés sont généralement celles découlant de l'interprétation de l'article 28 de l'Acte uniforme : « À défaut d'exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits.
Sauf s'il s'agit d'une créance hypothécaire ou privilégiée, l'exécution est poursuivie en premier lieu sur les biens meubles et, en cas d'insuffisance de ceux-ci, sur les immeubles ». Me ANDRIEUX indique que dans la pratique la mise en œuvre de cette disposition de l'Acte uniforme n'oblige pas le créancier à servir un commandement de payer au débiteur avant de procéder à la mise en œuvre des voies d'exécution coercitives. En effet, c'est ce qui ressort d'une décision du Tribunal de Première Instance de Yaoundé (la référence n'a pas été indiquée dans la communication).
La deuxième difficulté découle de l'interprétation de l'article 32 qui a fait l'objet de la fameuse affaire Époux Karnib (CCJA, arrêt n° 002/2001, 11 octobre 2001, Époux Karnib c/ SGBCI).
L'identification de la juridiction compétente en matière du juge de l'exécution (mesure d'exécution forcée ou de mesure conservation) est également un véritable problème dans certains États de l'OHADA. La confusion dans l'identification du juge de l'article 49 consiste à retenir tantôt comme juge compétent, le juge de l'exécution ou le juge des référés.
D'autres difficultés s'élèvent également en matière de saisie conservatoire. C'est le cas avec la question du cantonnement de montant de la créance à saisir. Pour que ces difficultés soient résolues, il faudrait travailler pour le professionnalisme des huissiers de justice. Ce professionnalisme rendra service tant au débiteur qu'au créancier.
Une autre difficulté tient au respect de certaines pratiques coutumières. En matière d'expulsion ou d'exécution au Togo par exemple, l'huissier de justice doit toujours informer le chef traditionnel de son projet d'exécution forcée avant de passer à l'acte d'exécution. Cette pratique n'est consacrée par aucun texte, mais c'est la pratique togolaise et c'est l'expérience des huissiers de justice du Togo.
Me ANDRIEUX conclut son propos en énumérant d'autres difficultés découlant de l'application de l'article 29 du même Acte uniforme qui concerne le concours de la personne publique en matière d'exécution des titres exécutoires et l'article 30 sur les immunités des personnes morales de droit public.
Maître ANDRIEUX termine son intervention en invitant les Etats Parties à donner les moyens nécessaires aux huissiers de justice pour exécuter convenablement les décisions de justice.
Pour toute information complémentaire, veuillez consulter directement le site de l'AHJUCAF qui diffusera les actes du colloque dès qu'ils seront disponibles sur www.ahjucaf.org
Joseph KAMGA
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