Arbitrage international / Conflit d'intérêts / Indépendance, Impartialité et obligations de révélation des arbitres / AAA / ICDR / Autorégulation et surveillance des pairs
Face à l'absence d'une solution universelle à certaines dérives constatées dans la mise en œuvre de l'obligation de révélation des causes de conflit d'intérêts dans la pratique de l'arbitrage, la question de l'exigence de l'apparence d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre est devenue une préoccupation majeure. « Il ne faut pas juste qu'il y ait justice, mais aussi apparence de justice » précisait l'Honorable Marc LALONDE au cours d'un séminaire de référence organisé par le cabinet NORTON ROSE au Québec début 2013, en présence et en l'honneur du Secrétaire Général de la CCI, Monsieur Andrea CARLEVARIS.
Cette apparence de justice, critère fondamentale de la crédibilité de la justice, devient malheureusement de plus en plus problématique dans la pratique de l'arbitrage et cela mine la confiance des acteurs économiques dans ce mode de règlement de litige. Le bénéfice de la confiance des parties est une question centrale dans la mission de l'arbitre.
La clef de voûte de l'arbitrage, la confiance que le tribunal arbitral doit inspirer aux parties, exige en effet une indépendance absolue et une impartialité irréprochable des arbitres et des centres d'arbitrage. La seule suspicion d'un conflit d'intérêts mine les socles de cette confiance. La nature contractuelle de l'arbitrage n'impose-t-elle pas aux arbitres d'être désignés dans une transparence totale ? Et tout conflit d'intérêt non révélé ne doit-il pas être sanctionné sans complaisance par les centres d'arbitrage, quelle que soit la notoriété de l'arbitre ou de son cabinet d'avocats ?
La notion de conflit d'intérêts est inscrite toute entière dans la parole évangélique « Nul ne peut servir deux maîtres à la fois ». Mais en pratique, sa prévention et sa répression souffrent de beaucoup de violations imputables à plusieurs facteurs, notamment l'absence de l'autorégulation de la « profession d'arbitre ». La crédibilité de cette profession souffre d'une absence de contrôle social exercé sur les arbitres par des instances autres que l'Etat. Grâce au principe de la confidentialité, certains cabinets d'avocats se retrouvent impliqués dans des procédures d'arbitrage aussi bien dans l'étoffe du juge que dans celle de partie. En effet, en cours de procédure arbitrale, il peut se trouver qu'un avocat d'un cabinet soit nommé arbitre, parfois même arbitre unique, et qu'au même moment le cabinet dont il est associé continue de conseiller et d'assister l'une des parties à l'arbitrage dans d'autres affaires. Il s'agit là d'une circonstance où le même cabinet sert deux maîtres à la fois, ce que proscrivent les saintes écritures et le bon sens juridique.
Ce fléau des conflits d'intérêts non révélés, non sanctionnés et couverts par les centres d'arbitrage, comme par exemple AAA / ICDR dans un cas très visible, en violation des règles les plus élémentaires de l'arbitrage, inscrites dans leurs propres statuts, semble ne pas retenir suffisamment l'attention de la communauté arbitrale. Des actes concrets venant de la communauté des arbitres et témoignant de la volonté de lutter contre ce fléau se font en effet toujours attendre.
Depuis 2010, plusieurs arrêts de la Cour de Cassation française et des Cours d'Appel ont heureusement rappelé la règle de droit et annulé les sentences arbitrales rendus par des arbitres défaillants dans leurs obligations de révélation, d'indépendance et d'impartialité. De même, en ce qui concerne l'espace juridique unifié OHADA, où l'arbitrage est un mode de règlement des litiges, mis en valeur et efficace, il est bien encadré par la CCJA OHADA. Les règles relatives aux obligations de révélation, d'indépendance et d'impartialité des arbitres sont claires, comme d'ailleurs pour l'ensemble des systèmes d'arbitrage, mais surtout, et c'est là la différence, appliquées de manière stricte et honnête, en conformité avec les principes essentiels de l'arbitrage.
Il semble néanmoins que l'appropriation de ces apports jurisprudentiels par la communauté des arbitres et des centres d'arbitrage ne soit pas encore à la mesure des enjeux.
Dans le cas de l'arbitrage par exemple, où la complaisance des centres d'arbitrage et des arbitres privés entre eux est une menace mortelle, l'autorégulation devrait être l'œuvre des centres d'arbitrage, des associations de promotion de l'arbitrage, des revues consacrées à l'arbitrage ou même de organisations professionnelles d'avocats et autres professionnels pratiquant l'arbitrage. L'actualité récente en matière du droit des sociétés nous a permis de constater combien l'autorégulation pouvait être efficace. En obtenant d'un PDG d'un constructeur automobile, actuellement en difficulté, de renoncer à une retraite chapeau de 21 millions d'euros, la pression des pairs a produit un effet qui a été salué. Ce mode de contrôle, propice à la garantie des bonnes pratiques, est nécessaire et devrait être promu dans la pratique de l'arbitrage international. La communauté de l'arbitrage (notamment les centres d'arbitrage et les associations d'arbitres) a d'autant plus intérêt à s'autoréguler qu'en abstenant de le faire, les Etats n'auront d'autre choix que de légiférer sur la question en encadrant beaucoup plus strictement qu'aujourd'hui la portée des sentences arbitrales privées. Si au 19ème siècle la désaffection de l'Etat vis-à-vis de la justice privée était motivée par les conséquences aléatoires de l'arbitrage (voir Edouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 1887), de nos jours, la désaffection des acteurs économiques vis-à-vis de ce mode de règlement des litiges est nourrie, de manière très légitime, par les craintes des conflit d'intérêts non révélés, étouffés et couverts par les centres d'arbitrage et la communauté des arbitres.
Au regard des préoccupations soulevées par la question du conflit d'intérêts non révélés en matière arbitrale, de la série d'arrêts rendus par les hautes juridictions, nous formulons le vœu que la communauté des arbitres et des centres d'arbitrages se mobilisent enfin et prenne les mesures adéquates pour éteindre un fléau qui mine les fondements et les piliers même de l'arbitrage.
Lire nos précédentes lettres d'information, notamment celles des 14, 17 et 24 août 2013 ; des 03 et 15 septembre 2013 ; du 24 octobre 2013 ; des 15, 17 et 22 novembre 2013 et du 12 décembre 2013.
Joseph KAMGA
Président de l'AEDJ OHADA
(Association pour l'Efficacité du Droit et de la Justice dans l'espace juridique unifié OHADA)