Interview / Aimery de Schoutheete : « Le droit OHADA est encore loin d'avoir donné toute sa mesure »
Aimery de Schoutheete est l'actuel senior partner et responsable de l'Africa desk du cabinet d'avocats Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick, plus connu sous le nom de Liedekerke. Il s'agit du plus important cabinet belge indépendant. Fondé en 1965, « Liedekerke » est présent en RDC où il a la charge de nombreux dossiers.
Les Dépêches de Brazzaville : Dans quels pays le cabinet Liedekerke est-il présent en Afrique et en quoi consistent vos activités ?
Aimery de Schoutheete : Nous avons constitué à Bruxelles un « Africa Desk » chargé de répondre aux besoins multiples de nos clients sur le continent africain. Beaucoup de demandes que nous recevons concernent la République démocratique du Congo (RDC ») et chacun de nos départements compte un ou plusieurs avocats familiarisés avec le droit de la RDC dans sa matière, et en particulier en droit OHADA. Nous avons environ une douzaine d'avocats qui constituent l'épine dorsale de notre « Africa desk ». Pour l'instant, nous sommes uniquement présents en RDC, via une filiale (Liedekerke Africa) que nous avons constituée à Kinshasa et qui y a ouvert un bureau de consultance juridique.
N'ayant pas la qualité d'avocats à l'un des barreaux de Kinshasa, nous nous abstenons de poser sur le sol de la RDC les actes typiques de la profession d'avocat. Plus spécifiquement, nous ne comparaissons pas devant les cours et tribunaux congolais, en telle manière que si un de nos clients doit traiter un litige devant les juridictions congolaises, nous l'orientons avec plaisir vers des avocats congolais inscrits au barreau compétent. En dehors de cela, nous assistons nos clients dans tous les domaines habituels : fusions et acquisitions, questions de droit des sociétés, joint-ventures, droit du travail, droit fiscal, droit des contrats, droit minier, droit de l'énergie, arbitrages internationaux, etc. Notre compréhension des systèmes et cultures juridiques locaux nous permet d'entretenir des relations avec des cabinets juridiques compétents dans de nombreux pays africains et de sélectionner le conseil local le plus approprié en fonction de chaque projet.
LDB : Votre Cabinet dit être engagé résolument pour l'avenir de l'Afrique et participer régulièrement à des projets financés par des institutions internationales, dont la Banque mondiale, afin de renforcer la primauté du droit et améliorer le climat des affaires. Quels sont ces projets et de quelle manière renforcez-vous cette primauté du droit et l'amélioration du climat des affaires ?
ADS : Fin 2012, nous avions été chargés par la Banque mondiale de participer, en RDC, à des séminaires portant sur la Convention de New -York de 1958 relative à la reconnaissance et à l'exécution de sentences arbitrales étrangères. Ces séminaires étaient organisés au sein du Parlement de la RDC et du ministère de la Justice, l'objectif étant de présenter les instruments internationaux en la matière et ensuite de discuter à bâtons rompus avec les parlementaires et les ténors du monde juridique congolais sur l'opportunité pour la RDC de ratifier la Convention de New-York. Celle-ci fut finalement ratifiée par la RDC dans le courant de l'année 2013. Cette ratification servait indiscutablement à l'amélioration du climat des affaires dans la mesure où elle était de nature à rassurer les investisseurs étrangers sur la volonté de la RDC de respecter l'état de droit et les sentences arbitrales étrangères. Plus récemment, nous nous sommes portés candidats pour assister un fonds de développement européen qui entendait financer un programme étalé sur trois ans de formation au droit OHADA de la magistrature congolaise. Dernièrement, nous nous sommes portés candidats pour assister le secrétariat permanent de l'OHADA, financée en cela par un autre fonds de développement européen, dans un état des lieux de la pratique de l'arbitrage dans tous les pays de la zone OHADA et une réflexion approfondie sur le droit OHADA de l'arbitrage. Ces deux projets ont finalement échu à d'autres, mais cela témoigne de notre volonté d'implication. À Kinshasa, notre cabinet conseille gratuitement plusieurs ONG locales, telles que le Centre pédiatrique de Kimbondo, Entrepreneurs pour Entrepreneurs, Development Media international, En Avant les Enfants, SOS Villages d'Enfants, Apopo, Exchange... Je suis intervenu dans différents forums en RDC dans le cadre de présentations ou formations en matière d'arbitrage international ou de contrats internationaux. Par ailleurs, nous avons participé activement à plusieurs évènements en RDC, notamment dans le cadre de la rentrée des barreaux de Kinshasa au cours de laquelle un de mes associés a fait un exposé relatif aux marchés publics en RDC. Thibaut Hollanders, qui dirige le bureau de Kinshasa, a également animé un débat relatif à l'avenir de la profession d'avocat au Palais du Peuple lors du 3e congrès ordinaire organisé par la Fédération africaine des associations et Unions de jeunes avocats. Il a, par ailleurs, été modérateur et key note speaker à Lubumbashi dans le cadre d'une mission économique d'hommes d'affaires allemands.
LDB : Et quels sont vos grands domaines d'intervention ailleurs sur le continent ? Sur quelles affaires avez-vous travaillé récemment ?
ADS : Nous pouvons classer en deux catégories nos dossiers « africains ». D'une part, il y a tous les dossiers que nous traitons pour nos clients « en Afrique » ; il s'agit principalement de dossiers pour des clients européens, américains ou asiatiques, qui ont des intérêts en Afrique ou envisagent d'en acquérir. Les domaines concernés sont des plus divers : implantation d'installations hydroélectriques, assistance à des opérateurs de télécoms, acquisitions ou ventes dans le secteur de l'agriculture, des brasseries ou de l'immobilier de bureau ou résidentiel, préparation et négociation de contrats dans le secteur minier ou de l'équipement industriel ou d'infrastructure... D'autre part, nous traitons également des dossiers proprement « africains », c'est-à-dire pour des clients africains. Il peut s'agir de dossiers en Afrique ou en dehors de l'Afrique. Souvent, il s'agira de dossiers de grand contentieux international se plaidant soit devant des juridictions étatiques européennes, soit devant des tribunaux arbitraux régis par les grandes institutions internationales d'arbitrage. Nous sommes intervenus et continuons d'intervenir aux côtés de certains états africains dans le cadre de contentieux dont les enjeux sont très considérables (de 150 M USD à plus d'un milliard d'USD). Ceci ne nous empêche pas cependant d'agir également contre des états africains. Les dossiers importants les plus récents concernent la défense des intérêts de l'État congolais dans le cadre de deux arbitrages internationaux de grande envergure, la défense des intérêts de ce même état d'une action contre l'Ouganda en réparation des dommages de guerre, le financement de la construction d'un barrage hydroélectrique dans l'est de la RDC et l'assistance d'une grande enseigne française dans le cadre de son installation en RDC.
LDB : Le marché des professions juridiques est-il très développé en Afrique pour attirer autant de cabinets internationaux ?
ADS : S'il est vrai que de nombreux cabinets internationaux d'avocats opèrent en Afrique, le nombre de cabinets internationaux ayant une présence en Afrique sub-saharienne est beaucoup plus restreint, du moins si on sort la République Sud-Africaine de l'équation. L'Afrique n'est pas monolithique ; elle recouvre de multiples réalités, y compris dans le domaine des professions juridiques. On ne peut donc se prononcer par généralités. Par exemple, dans un marché relativement mûr comme l'Afrique du Sud, les cabinets nationaux tirent remarquablement leur épingle du jeu en dépit de la concurrence de certains grands cabinets anglo-saxons. Ils devancent même ceux-ci dans le développement de réseaux en Afrique anglophone. Cela dit, dans la plupart des pays africains, le marché des professions juridiques est moins développé. Les cabinets y sont quasi systématiquement de petite taille, centrés autour d'un ou de deux praticiens principaux. Cela n'enlève rien à leurs qualités intrinsèques, mais peut parfois nuire à la réactivité, sujet sur lequel les clients internationaux se montrent depuis plusieurs années de plus en plus exigeants. Indépendamment de cela, les cabinets nationaux conserveront en toutes circonstances la mainmise sur le contentieux national et ne peuvent, à vrai dire, que se réjouir de voir arriver les clients des cabinets étrangers opérant en Afrique. Ces clients auront toujours des besoins locaux auxquels leurs cabinets de référence habituels ne pourront que difficilement répondre.
LDB : Le droit OHADA a-t-il facilité le climat des affaires et est-il bien appliqué par les pays concernés ?
ADS : le droit OHADA constitue un facteur potentiel de progrès majeur. Je dis « potentiel » car le droit OHADA et l'organisation OHADA est encore loin d'avoir donné toute sa mesure. Certes, le droit dans les 17 pays de la zone OHADA est unifié dans un certain nombre de domaines. Toutefois, cette unification est relativement récente - et pour certains membres de l'OHADA comme la RDC, elle est très récente - et conserve encore de ce fait un caractère un peu théorique. Néanmoins, c'est l'avenir et on doit vivement encourager les efforts de l'OHADA car pareille uniformisation ne peut, à la longue, que se révéler salutaire pour les pays concernés et les échanges qu'ils nourriront entre eux et qu'on espère de plus en plus nombreux. Il faut donc continuer, avec l'aide de diverses institutions internationales ou nationales, à parfaire la connaissance du droit OHADA par les professions juridiques locales, tout en réfléchissant aussi aux moyens de compléter ou d'améliorer l'arsenal juridique OHADA. En RDC par exemple, le droit OHADA a déjà permis plusieurs avancées significatives, notamment via la création du Guichet unique de création d'entreprises qui offre un point de contact central et unique pour la création de nouvelles entreprises en RDC. Par ailleurs, le droit OHADA a permis de moderniser utilement plusieurs branches du droit congolais, en particulier, le droit des sociétés commerciales.
Patrick Ndungidi
adiac-congo.com