Madagascar et l'OHADA au barreau de Paris
28 mars 2020
Me Hery Ranjeva (Foley Hoag) : « L'administration centrale malgache est favorable aux investisseurs étrangers ».
À quels enjeux est aujourd'hui confrontée la Grande Île ? Est-il bon d'investir et d'entreprendre à Madagascar ? Son environnement juridique et fiscal est-il pertinent ? Telles sont les questions explorées par la 33econférence mensuelle africaine organisée en mars (avant le confinement) par la Commission Afrique-OHADA, à la Maison du Barreau de Paris.
Avec une population estimée à 26,3 millions d'habitants en 2018, selon l'Agence française de développement - soit six fois plus qu'en 1950 -, la Grande Île doit, pour espérer subvenir aux besoins grandissants des Malgaches, restructurer son économie, a estimé Olivier Ribot, avocat fondateur du cabinet Lexel Juridique & Fiscal, spécialisé en droit des affaires et en fiscalité à Madagascar.
« Chaque année, il y a près de 500 000 jeunes malgaches qui arrivent sur le marché du travail. Être capable d'offrir des emplois à cette jeunesse constitue l'un des principaux enjeux auxquels le pays doit répondre », a expliqué le juriste. « Le taux de croissance économique de Madagascar - qui oscille entre 4 % et 5 %, depuis une dizaine d'années - est insuffisant pour absorber cette cohorte de jeunes. Une véritable politique incitative à l'investissement doit être menée par les autorités », a-t-il poursuivi.
Un droit et une fiscalité « satisfaisants »
Bien qu'un long chemin reste encore à parcourir, Madagascar possède aujourd'hui quelques atouts propices à l'investissement, tant sur le plan juridique que fiscal.
Ainsi, pour attirer davantage d'investisseurs français, la Grande Île peut compter sur son système juridique, qui présente de fortes similitudes avec celui de l'Hexagone. « Au lendemain de l'Indépendance du pays, en 1960, le législateur malgache a bien évidemment modifié les lois pour créer son propre droit. Néanmoins, ce dernier, dans ses fondements, ses concepts et son organisation juridictionnelle, est resté extrêmement proche du droit français » a expliqué Olivier Ribot.
« C'est pratique pour un investisseur francophone. Quand on a une culture juridique civiliste et qu'on arrive à Madagascar, on n'est pas dans l'inconnu », a-t-il assuré. Pour preuve, alors que les textes de loi ne sont pas les mêmes, il peut arriver aux magistrats malgaches, du fait de la grande similarité des concepts, d'invoquer des jurisprudences françaises.
Autre point positif : la forte influence de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) - dont Madagascar n'est pourtant pas membre - sur le droit local. « Les lois sur les sociétés, sur le plan de commerce et sur les sûretés sont un quasi copié-collé des actes uniformes OHADA », a précisé Olivier Ribot.
Madagascar présente aussi des avantages non-négligeables sur le plan fiscal. « Avec un taux d'imposition sur les bénéfices qui s'élève à 20 %, pour toutes les sociétés enregistrant un chiffre d'affaire annuel supérieur à 20 millions d'ariary - soit environ 5 000 euros -, la fiscalité du pays peut faire des envieux, notamment en Europe », a souligné le juriste.
Le fondateur du cabinet Lexel Juridique & Fiscal n'a également pas manqué de rappeler l'adoption, en 2016, de la loi malgache sur le partenariat public-privé (PPP), qui a contribué à la mise en place d'un cadre favorable au développement du secteur privé sur la Grande Île. « Il s'agit d'une loi somme toute très classique d'inspiration Banque mondiale. Le texte - qui s'accompagne de deux décrets d'application - permet au pays d'avoir une structure PPP qui fonctionne », a précisé l'avocat.
Ainsi, pour Olivier Ribot, la Grande Île dispose, aujourd'hui, d'outils qui procurent une certaine sécurité juridique et fiscale aux investisseurs. Néanmoins, en grande partie à cause de la corruption qui gangrène les juridictions malgaches depuis plusieurs années, une insécurité judiciaire demeure.
Une insécurité judiciaire persistante
« À Madagascar, les litiges sociaux et commerciaux se pénalisent trop facilement. Ainsi, les tentations pour trouver des arrangements pécuniaires avec les juges sont grandes. Cette menace fait qu'on va transiger, là où on ne devrait pas », a déploré le juriste.
Pour ne pas céder aux tentations de corruption, Olivier Ribot préconise d'utiliser les outils fournis par le droit des affaires malgache. Parmi ceux-ci : l'arbitrage, généralement considéré comme étant l'une des meilleures solutions, en cas de difficultés rencontrées avec les juridictions locales.
Cependant, cette procédure souffre d'une grande hostilité de la part des juges. « Le souci, c'est que l'arbitrage a été présenté à Madagascar comme étant le remède miracle contre un système judiciaire, par définition, corrompu. Par conséquent, les juges sont devenus extrêmement hostiles, vis-à-vis de ce mode de règlement des litiges », a expliqué Hery Ranjeva, avocat associé du cabinet Foley Hoag, à Paris.
Une administration centrale bienveillante envers les investisseurs étrangers
Alors, comment faire face de manière efficace aux problèmes liés à la corruption à Madagascar ? Pour Maître Ranjeva, il n'existe, pour le moment, aucune réelle façon de s'en prémunir. « Des problèmes liés à la corruption, vous êtes susceptibles d'en rencontrer à tous les niveaux des juridictions malgaches. Les mécanismes de contrôle sont défaillants. Aujourd'hui, la seule façon de lutter contre la corruption est d'éviter d'y participer et attendre que les choses évoluent sur la Grande Île », a-t-il expliqué.
Malgré cette insécurité judiciaire persistante - qui pourrait en décourager plus d'un -, les investisseurs étrangers peuvent compter sur la bienveillance de l'administration centrale malgache, qui soutiendra systématiquement, dans la mesure du possible, leurs projets.
« L'administration centrale malgache sera toujours favorable aux investisseurs étrangers », a indiqué Hery Ranjeva. « À Madagascar, depuis la fin des années 1980, l'efficacité d'un gouvernement est évaluée par sa capacité à faire venir des fonds étrangers. Malgré les épisodes d'instabilité politique qu'a traversé la Grande Île ces dernières décennies, les différents gouvernements qui se sont depuis succédés n'ont jamais remis en cause les mesures adoptées par leurs prédécesseurs qui permettent au pays de capter des capitaux étrangers », a précisé l'avocat.
Au-delà de la corruption, et malgré cette bienveillance des autorités, la Grande Île peine encore, aujourd'hui, à attirer les investisseurs. À cause de son manque criant d'infrastructures et de main d'œuvre qualifiée, a conclu Maître Ranjeva.
Thomas Radilofe
www.africapresse.paris