Soutenance de thèse 28 mai 2011 à l'Université Gaston BERGER de Saint-Louis (Sénégal) intitulée : « Rationalité fiscale et intégration économique en Afrique : l'exemple du système fiscal sénégalais dans l'UEMOA »
- 05/06/2011
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- 🇸🇳 Senegal
Nous sommes heureux de vous annoncer que Monsieur Abdoulaye NIANE, Inspecteur des Impôts, a soutenu avec succès le samedi 28 mai 2011, à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) une thèse d'Etat en droit sur le sujet : « Rationalité fiscale et intégration économique en Afrique : l'exemple du système fiscal sénégalais dans l'UEMOA ».
Le jury était présidé par le Professeur Eloi Diarra de l'Université de ROUEN assisté du Professeur Abdoullah CISSE (UCAD), les maitres de conférence Mayatta Ndiaye MBAYE (UCAD) et Mbissane NGOM (UGB).
Monsieur NIANE a obtenu la mention Très Honorable, les félicitations du jury et l'autorisation de publier en l'état sa thèse.
Vous trouverez ci-dessous l'exposé de soutenance de cette thèse.
Soutenance
Monsieur le Président,
Messieurs les membres du jury,
Mesdames, Messieurs,
Une thèse est d'abord une aventure humaine : s'il faut un brin d'audace pour la débuter, il faut une bonne dose d'humilité pour la terminer, tant les questions en suspens restent nombreuses. Pour ma part, je me réjouis de voir cette aventure se terminer dans cet amphithéâtre, face à d'éminents spécialistes du Droit.
Qu'il me soit donc permis, tout d'abord, d'exprimer au Professeur Abdoullah CISSE ma profonde gratitude pour avoir accepté la direction scientifique de ce travail de recherches doctorales. Sans jamais se départir de cette rigueur inflexible, sa patience et sa générosité n'ont, pourtant, en aucun moment été prises à défaut.
Au passage, je voudrais souligner la disponibilité du Professeur Eloi Diarra qui est venu de très loin, comme il le fait depuis longtemps déjà, pour la cause de la recherche en Afrique.
Professeurs Mayatta MBAYE et Mbissane NGOM, je vous exprime également ma grande reconnaissance pour avoir accepté d'échanger, avec moi, vos réflexions sur le travail que j'ai l'honneur de vous soumettre.
Je suis persuadé que les débats de ce matin me seront très utiles pour améliorer la qualité de ce travail et approfondir mes recherches.
Ma présentation reviendra sur les différents aspects (problématique, méthodologie, résultats et conclusion) de ces développements sur la « Rationalité fiscale et intégration économique en Afrique : l'exemple du système fiscal sénégalais dans l'UEMOA ».
Messieurs les membres du jury,
j'ai été très tôt marqué par l'imbrication normative et parfois la concurrence juridique qui prévalent dans l'espace africain. Aussi, mes premiers travaux ont-ils successivement porté sur le contentieux des actes uniformes de l'OHADA en maîtrise, ensuite, en DEA sur l'arbitrage commercial international en droit sénégalais.
Au début de ma carrière dans l'administration fiscale, il y a une dizaine d'années, les premiers textes de l'UEMOA sur la fiscalité venaient d'être adoptés :
Le corpus juridique en matière de fiscalité est devenu assez important (avec plus d'une dizaine de directives, autant de règlements ainsi que des décisions). Notons, principalement :
- En matière douanière, le Règlement n°02/97 portant adoption du Tarif Extérieur Commun de l'UEMOA ;
- La directive 02/98 sur la TVA ;
- La directive 03/98 sur les droits d'accises.
Plus récemment, une autre phase a été entamée avec le chantier de la fiscalité directe. Notons, aussi, la convention multilatérale sur la non double imposition sous forme de règlement communautaire adoptée en 2009.
Interroger ce droit fiscal communautaire naissant à partir d'un observatoire que j'ai toujours privilégié dans mes recherches, l'international ou le communautaire, en l'occurrence, était un exercice intellectuel digne d'intérêt pour le chercheur et le professionnel de la fiscalité tout à la fois.
Ensuite, une raison plus poussée a guidé le choix de concentrer l'étude sur l'UEMOA. En effet, le Traité de l'Union, en son article 4, paragraphe e, proclame la nécessité d'« harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des Etats membres et particulièrement le régime de la fiscalité ». Cette démarche constitue une rupture avec d'autres expériences d'intégration économique.
Selon le Pr. Mireille DELMAS-MARTY, l'intégration régionale est le phénomène majeur des dernières décennies. Née en 1994, l'UEMOA répond à la nécessité d'un cadrage régional qui rompt avec les perspectives de l'inter-étatisme qui ne faisaient de la CEDEAO de 1975 et de l'UEMOA de 1973 que de simples cadres de coopération, aux sujétions peu contraignantes.
Il s'est agi de créer, en Afrique de l'Ouest, un ensemble économique régional pertinent, permettant d'assurer l'intégration des Etats membres dans le processus de mondialisation. Cependant, nul n'ignore la complexité des liens entre la régionalisation et la mondialisation. En effet, l'intégration régionale apparaît à la fois comme une réaction à la tendance unificatrice et homogénéisante de la dynamique de la mondialisation et comme une condition nécessaire à l'intégration au mouvement de la mondialisation, une étape à la libéralisation multilatérale et, accessoirement, une garantie contre la marginalisation.
Au plan fiscal, la mondialisation postule le démantèlement tarifaire et l'avènement d'une fiscalité intérieure minimale.
Dans un contexte africain marqué par la nécessité de trouver des ressources croissantes pour financer le développement, cette posture est difficilement acceptable. Le système fiscal sénégalais est ainsi placé en transition fiscale, concept en vogue qui désigne le passage forcé vers la mondialisation du droit fiscal.
Schumpeter écrivait déjà : « rien ne montre aussi clairement le caractère d'une société et d'une civilisation comme le fait la politique fiscale que son secteur politique adopte ». Etudier la rationalité fiscale d'un système n'est donc pas chose aisée. Elle postule la connaissance des acteurs tout d'abord : c'est, bien sûr, le cadre unitaire régional pour lequel les Etats ont consenti un abandon de souveraineté pour créer une zone intégrée. La force de cette dernière dépend en partie de la puissance réellement léguée par les Etats.
Mais, la rationalité d'un système fut-il harmonisé serait réduite si elle ne se résumait qu'à l'atteinte formelle des objectifs fixés dans le traité intégrateur. Au-delà des Etats parties, un système fiscal n'est rationnel que s'il arrive à satisfaire aussi les intérêts des différents Etats, pris individuellement. En effet, c'est là toute la subtilité de la construction d'une Union économique dans un contexte d'Etat-nations économiquement faibles et en devenir. L'abandon de souveraineté n'est consenti que sous bénéfice d'inventaire. Processus réversible, donc délicat, l'intégration régionale est d'abord un abandon « intéressé » de souveraineté. Chaque Etat renonce à la définition de sa politique fiscale, en l'espèce, pour pouvoir appliquer une autre, commune, mais qui lui apporte plus de ressources et de visibilité dans son action financière.
Mais, l'approche normative choisie est-elle pertinente par rapport au dessein affiché ?
De même, à côté des normes fiscales de l'UEMOA, la CEDEAO a entamé un processus d'harmonisation fiscale et l'OHADA, qui a déjà élaboré son acte uniforme en matière comptable, pourrait envisager un droit fiscal commun. Quel ordonnancement juridique les Etats parties à ces différentes organisations pourrait-ils établir?
L'UEMOA a opté pour la technique de l'harmonisation pour « la recherche d'une cohérence raisonnable entre des systèmes différents, grâce à des orientations convergentes ». Chaque type de rapprochement juridique (uniformisation, unification, ou harmonisation) procède d'une stratégie distincte et a ses propres moyens, sa propre tactique. Il est alors important de s'interroger sur la rationalité des moyens utilisés, en d'autres termes, la tactique est-elle gagnante?
De façon globale, quelle rationalité envisager pour qu'au-delà des sources plurielles du droit fiscal, des dispositions contradictoires qu'elles secrètent, le système fiscal puisse être le levier efficace d'une intégration économique réussie? Cette thèse a pour ambition de répondre à cette question fondamentale.
A cet effet, l'évaluation de la performance du système fiscal à l'épreuve de l'intégration régionale est faite dans une première partie et dans une deuxième partie les voies d'une rationalisation sont proposées.
C'est donc à la fois un travail d'interprétation et de prospective juridique. Toutefois, nos efforts de recherche se sont parfois heurtés à la faiblesse de la documentation et de la réflexion théorique africaine pertinentes sur la question. De même, la jurisprudence est quasi inexistante sur le sujet, à l'exception de quelques décisions de fiscalité purement interne.
Fort heureusement, nous avons pu exploiter divers types de documents émanant d'organismes privés et publics (lois, règlements, directives, conventions, rapports, publications scientifiques, notes de service...).
Je dois avouer que ma position de travail m'a aussi beaucoup aidé. J'ai été pendant plusieurs années expert du Ministère de l'Economie et des Finances devant participer à Ouagadougou, siège de la Commission de l'UEMOA, à des réunions soit pour évaluer quelques aspects du dispositif fiscal en place ou proposer l'édiction de nouvelles normes. De même, l'occasion nous a été donné de visiter d'autres zones d'intégration ou systèmes fiscaux partout à travers le monde et de discuter de façon critique avec des acteurs déterminants.
Je mentionnerai aussi l'apport inestimable du corpus doctrinal substantiel tiré de la réflexion anglo-saxonne en matière de politique fiscale. J'ai pu en avoir un accès commode lors de mon séjour de quatorze mois à l'Institut de développement international de l'Université de Birmingham en Angleterre.
C'est aussi le lieu de mentionner la disponibilité des autorités du CERDI et l'Université de Clermont-Ferrand en France qui m'ont permis d'accéder à une base documentaire fournie.
Méthodologie :
Un système fiscal est d'abord un jeu d'intérêts imbriqués, confus ou bien identifiés. Pour mener à bien nos recherches, ce travail a fait recours utile à plusieurs modèles. Chacun d'entre eux permet un éclairage particulier sur le système, considéré comme une réalité « complexe » au sens d'Edgar Morin.
A l'arrivée, l'analyse systémale nous aura été d'une grande utilité pour tester la rationalité du système fiscal sénégalais dans l'espace UEMOA aussi bien du point de vue de sa cohérence interne que de sa cohérence externe. De même, l'analyse substantielle nous aura permis de procéder à un examen minutieux des règles fiscales en présence et d'en tirer aussi bien les conséquences théoriques que pratiques qui pouvaient en découler. Enfin, nous avons pu apprécier, grâce à la méthode de l'analyse économique du droit, l'efficacité économique du dispositif fiscal harmonisé. En un mot, l'utilisation de ces méthodes nous aura permis de sonder en profondeur le dispositif fiscal communautaire et son aptitude à servir le dessein d'une intégration économique réussie.
Résultats :
L'expérience de l'harmonisation fiscale de ces dernières années montre que les systèmes fiscaux étatiques coexistent avec un système fiscal communautaire qui a ses textes, ses acteurs, son environnement ou cadre d'application. L'examen du système fiscal sénégalais révèle que la rationalité qui se dégage de cette coexistence est plutôt faible, bloquant ainsi l'intégration régionale. La raison tient au fait que la norme fiscale est mise ici au service du marché dans une démarche téléologique peu efficace. L'existence d'un droit fiscal harmonisé, suffirait, comme par magie, à avancer résolument vers une intégration réussie.
Tout d'abord, ce que nous avons désigné sous le vocable de « pénurie fiscale » bloque cet objectif affiché. C'est une situation d'irrationalité caractérisée marquée par une inefficacité de la norme fiscale qui évolue dans un environnement hostile : déficit de légitimité, carence économique, dysfonctionnements institutionnels rendent le système fiscal sénégalais inapte à accompagner la dynamique de l'intégration économique.
De façon spécifique, si au plan financier, l'harmonisation de la TVA a été un succès réel en ce qu'elle a procuré de substantielles recettes supplémentaires aux Etats, le caractère régressif de cet impôt dans un environnement où règne une pauvreté structurelle constitue un facteur bloquant. En tenir compte ne serait que pure équité.
Les droits d'accises jouent leur rôle primordial de pourvoyeurs de recettes dans l'Union. Toutefois, en tant que taxes spécifiques, un effort de redéfinition de leur contenu permettra de leur faire jouer un rôle structurant au niveau régional en plus de lutter contre les externalités négatives.
Le chantier de la fiscalité directe, largement entamé, n'autorise pas de grands espoirs pour le dessein qu'il s'est fixé, à savoir réussir la transition fiscale. Il consacre un consensus mou et bute sur une résurgence très marquée de la volonté de souveraineté des Etats.
Partant de ces faiblesses constatées, la rationalité proposée vise à changer cet état de fait en plaçant le système fiscal de l'UEMOA en phase avec le projet d'intégration sous-régional. L'important est dans la mise en perspective, dans la cohérence proposée pour une recomposition du système à moindre frais, c'est-à-dire, un système où tous les acteurs, la nation et les Etats, l'usager et les contribuables, le service public fiscal et les agents fiscaux, trouvent leur intérêt sans consentir trop d'efforts inutiles.
Au plan interne, les systèmes fiscaux étatiques doivent être révisés pour se doter d'institutions pertinentes. L'utilisation des outils de la légistique devrait permettre de maîtriser tous les risques et de guider le jeu des acteurs pour garantir la cohérence globale du système et une bonne répartition entre les rationalités imbriquées : local, national, régional et global.
L'approche de politique publique qui garantit la cohérence dans la démarche est préconisée. Notons comme éléments moteurs :
- d'une part, la bonne gouvernance qui met avant des réformes institutionnelles sur le modèle du Nouveau management public avec les outils de la gestion accès sur les résultats ;
- d'autre part, l'état de droit avec une validité normative qui garantit ce que nous avons appelé « la sécurité fiscale » ainsi que le rôle assumé très souhaitable du juge communautaire.
Enfin, nous pensons que sur la voie de la rationalité, les Etats parties doivent accepter un abandon véritable de souveraineté en créant une véritable fiscalité communautaire : c'est-à-dire un impôt prélevé à l'échelon régional et directement géré par l'Union. Il s'agira alors de remplacer une partie des dotations budgétaires nationales par un financement direct du citoyen contribuable ouest africain. Ce financement viserait les domaines prioritaires à l'intégration économique. Cet impôt permettrait aussi de mieux faire face à la conjoncture. Ce dispositif fiscal pourrait être jumelé à un code fiscal communautaire pour l'investissement (ou plus précisément un code pour l'investissement communautaire), socle d'un droit commun incitatif à l'échelle de l'UEMOA.
Je propose que ce soit un droit commun sous forme de règlement communautaire et non harmonisé par le biais d'une directive. Ainsi se trouveraient réglés le casse tête de la concurrence fiscale qui déstabilise les principes fondateurs d'un marché communautaire. Ses modalités devront tirer toutes les leçons de la nouvelle économie géographique (qui intègre la fiscalité dans le processus d'allocation optimale des ressources dans l'espace) et obéir à une démarche pertinente visant à créer un aménagement du territoire communautaire.
Si pour un système fiscal l'optimalité est un mythe, la rationalité par contre, relève d'une nécessité. Dans le cadre de l'UEMOA, cette dernière est avant tout une exigence de responsabilité historique sur le chemin du développement. Ce travail a voulu montrer que relever ce défi est possible mais il impose des choix forts pour donner une identité fiscale à la communauté régionale.
Monsieur le Président, messieurs les membres du jury, mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention.
Pour plus d'informations, veuillez contacter :
Monsieur Abdoulaye NIANE
Email : cheikhalo@yahoo.com
06/11/2016 221020 VITAL SAMBA NESSE
Bsr, j'ai lu la table de matière de votre thèse, étant doctorant j'aimerai lire l'intégralité de votre thèse