Contribution doctrinale du Juge Amadou LO BA sur le nouvel Acte Uniforme OHADA portant organisation des sûretés
- 31/08/2011
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Avec l'accord de Monsieur le Secrétaire Permanent de l'OHADA, Monsieur le Ministre Dorothé SOSSA, nous avons le plaisir de publier infra par newsletter une contribution doctrinale du Juge Amadou BA, Membre honorifique de l'UNIDA, aujourd'hui Chef du Service juridique et du contentieux, Banque Sahélo Saharienne pour l'Investissement et le Commerce (BISC) Dakar (Sénégal), sur le nouveau droit OHADA des sûretés issu de l'Acte Uniforme OHADA révisé lors du Conseil des Ministres de LOME du 15 décembre 2010.
Cette diffusion qui se fait bien sûr avec l'accord de l'auteur est concomitante sur les sites www.ohada.org, site officiel de l'Organisation OHADA, et www.ohada.com, site de l'UNIDA. Elle vise à susciter un débat scientifique positif « de lege ferenda » des professionnels sur ces questions importantes pour l'Etat de droit économique permettant d'approfondir la réflexion juridique dans l'ensemble de l'espace juridique unifié OHADA.
QUELQUES REFLEXIONS SUR LE NOUVEL ACTE UNIFORME DES SURETES : UN VRAI « DOLLY » JURIDIQUE
Par Amadou LO BA
Chef du Service juridique et du contentieux,
Banque Sahélo Saharienne pour l'Investissement
et le Commerce (BISC) Dakar (Sénégal)
Email : al_bah1@yahoo.fr
Le conseil des ministres de l'OHADA a adopté le 15 Décembre 2010 à Lomé, un nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés dont l'entrée en vigueur est prévue au mois de MAI 2011, en remplacement de celui adopté en Janvier 1997, après 12ans d'application.
Sans nous appesantir sur les raisons d'un tel changement, nous n'avons pas connaissance, sauf erreur de notre part, de l'existence de travaux d'évaluation de la pratique de l'ancien texte.
L'examen de la nouvelle loi nous a conduit aux constats suivants.
Il introduit de nouvelles catégories de sûretés tirées pour l'essentiel de la pratique bancaire et crée nouvel organe dans la procédure de constitution et de réalisation des garanties, nommé Agent des sûretés, en même temps qu'il simplifie la réalisation de certaines garanties.
Avant d'entamer l'analyse de toutes ces questions, il convient relever aussi qu'il soulève des difficultés dans la définition et l'appellation de certaines sûretés.
De ce point de vue l'ancien texte définissait dans un seul et même article les sûretés en ces termes : « Les sûretés sont les moyens accordés au créancier par la loi de chaque Etat partie ou la convention des parties pour garantir l'exécution des obligations quelle que soit la nature juridique de celle-ci ». Cette définition a le mérite d'englober à la fois les sûretés conventionnelles et les sûretés légales, les sûretés personnelles et les sûretés réelles. Compte tenu de leur pluralité et leur spécificité chaque type était défini dans un article précis à l'occasion de son évocation dans le texte. Le nouveau texte consacre 4 articles différents à la définition des sûretés sans qu'aucun de ceux-ci ne donne vraiment une définition suffisante et complète de la sûreté qu'il concerne.
L'article 1er qui résume la définition générale de la sûreté est laconique. Il dispose que: « Une sûreté est l'affectation au bénéfice d'un créancier d'un bien ou d'un ensemble de biens ou d'un patrimoine afin de garantir l'exécution d'une obligation ou d'un ensemble d'obligations... ». Cette définition de la sûreté a deux insuffisances : D'une part, elle n'envisage pas les sûretés légales, d'autre part elle ignore les sûretés personnelles car elle limite la sûreté à l'affectation d'un bien ou d'un patrimoine. A titre d'exemple : Le privilège qui est une sûreté toujours légale que l'on ne peut pas retrouver dans la définition précitée (il ne s'agit pas de l'affectation d'un bien).
Le cautionnement personnel également, qui est une sûreté conventionnelle n'est pas affectation d'un bien ou d'un patrimoine, donc exclu du champ de la définition de l'article 1. « NB ici n'est pas visé le droit de gage général du créancier ».
En résumé, cette définition est limitative.
Plus loin toujours dans l'article 4 nouveau, le législateur procède à une définition dans un même article des sûretés personnelles et réelles. Dans l'alinéa 2 il est dit ceci : « les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles qui sont régies par cet acte. Elles consistent soit dans le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d'un bien affecté à la garantie de l'obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition d'un bien dont il est propriétaire à titre de garantie ». Cette définition est non seulement incorrecte mais incomplète. Elle est incorrecte parce que le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de vente est un effet découlant même de la garantie.
Tout le monde sait que le droit de suite et le droit de préférence sont les principaux effets découlant des sûretés réelles. Ces effets découlent plutôt de la loi que de la convention des parties. D'ailleurs le droit de préférence est toujours précédé du droit de suite car il est inopérant si le créancier ne détient pas lui même l'objet de la garantie.
Plus grave encore cet article 4 alinéa 2 est en contradiction avec l'article 1er portant définition générale de la sûreté, car dans le premier cas il s'agit de l'affectation d'un bien ou d'un patrimoine, alors que dans le second il s'agit du droit de préférence. En plus de cela cette définition est incomplète car les privilèges ne correspondent pas à cette définition, encore moins le droit de rétention. Le fait par le créancier (souvent le vendeur) de recouvrer ou retenir la libre disposition d'un bien pour se faire payer est plus une garantie de paiement qu'une sûreté dans le second cas et une exécution forcée dans le premier.
L'autre inconvénient majeur de ce texte est de limiter les sûretés valablement constituées aux seules sûretés réglementées par le présent acte. Cette disposition enlève à l'autonomie de la volonté la faculté de convenir de sûretés conventionnelles autre que celles réglementées.
Est-ce à dire que ces sûretés sont à rapporter exclusivement aux créances contractées par le débiteur professionnel (terme à comprendre) tel que définit à l'article 3. ? La maladresse consiste à vouloir définir les sûretés personnelles et les sûretés réelles dans un seul et même article.
Une distinction s'imposait pour une meilleure clarté dans la compréhension ne serait-ce que pour le seul motif que la différence tient à la technique employée : L'une est issue du droit des obligations et l'autre du droit des biens.
Ces précisions faites, nous aborderons d'abord les Innovations majeures dans le domaine des sûretés réelles de façon générale (I) avant de voir les Innovations liées à la constitution et la réalisation de ces sûretés, sans que cette étude ne soit exhaustive (II).
I. Les Innovations majeures dans le domaine des sûretés réelles de façon générale
Les innovations portent plus sur les sûretés réelles que les sûretés personnelles.
A) Les sûretés réelles nouvellement crées :
L'essentiel de ces nouvelles sûretés sont inspirés de la pratique bancaire : C'est le cas notamment du nantissement de compte, du nantissement de créance, du nantissement du compte bancaire et de titres financiers. A côté de ces nouvelles sûretés dont la constitution et la réalisation ne posent pas de problème majeur, l'acte uniforme a introduit une catégorie de sûretés fondée sur un transfert de propriété. Il s'agit de la clause de réserve de propriété et la cession de créance. La cession de créance à titre de garantie a toujours existé si l'on se réfère au nantissement pignoratif. Seulement le législateur a omis de préciser les modalités de réalisation de ces garanties. Mais la question est de savoir si la clause de réserve de propriété est vraiment une sûreté. La clause de réserve de propriété est obtenue par l'aménagement de l'un des effets de la vente.
Le transfert de propriété du bien vendu qui s'opère normalement dés l'échange des consentements est retardé du jour complet paiement du vendeur. Est ce à dire que ce procédé s'analyse comme une garantie ? Il est préférable de le considérer comme une accessoire de la créance comme l'indique d'ailleurs la jurisprudence « La subrogation personnelle a pour effet d'investir le subrogé non de la créance primitive, mais aussi de tous les avantages et accessoires de celle-ci. Il en est aussi de la clause de réserve de propriété dont la créance du prix de vente et offerte à son service exclusif pour en garantir le paiement » (France, Com. 15 mars 1988 bull civ. no 106).
En conséquence lorsqu'une personne devient cessionnaire d'une créance munie d'une clause de réserve de propriété, elle en deviendra automatiquement titulaire.
Ceci est d'autant plus vrai qu'en cas de non paiement l'effet immédiat c'est la résolution de la vente et le créancier sera obligé de passer par la voie de la saisie revendication pour rentrer en possession du bien qu'il a déjà délivré.
Si le bien est une chose fongible ou périssable, il y'a risque parce qu'il ne sera pas payé.
De tout ce qui précède, il est permis de douter de la clause de réserve de propriété comme étant une véritable suite.
La grande particularité de la réforme concerne la création de deux grandes catégories de sûretés réelles basées sur la distinction entre les meubles corporels pouvant faire l'objet d'un gage et les meubles incorporels pouvant faire l'objet d'un nantissement. Cette distinction fondée sur la nature du bien objet de la garantie remet en cause la distinction classique fondée sur les modalités de constitution de la garantie en procédant en un gage avec dépossession, et en un gage sans dépossession et un nantissement de meubles incorporelles.
Il a été toujours enseigné jusqu'ici que le gage était la remise matérielle d'un bien entre les mains du débiteur ou d'un tiers convenu. Ce même gage pouvait être constitué par le débiteur en conservant l'usage du bien : C'est ce qui est appelé communément nantissement :(ou gage sans dépossession).
Aujourd'hui le nantissement désigne uniquement le gage portant sur les biens meubles incorporels non susceptible de transfert ce qui n'est pas toujours le cas parce que les titres mobiliers peuvent être remis au créancier.
L'appellation gage étant réservée aux seuls meubles corporels avec comme modalité, la dépossession ou la non dépossession. Même si une classification peut être fondée sur la nature du bien, il n'en demeure pas moins que le mécanisme et l'objectif recherché sont les mêmes : C'est à dire offrir une garantie de paiement au créancier. Cependant le législateur donne des définitions différentes entre gage de meubles corporels et le nantissement de meubles incorporels.
L'article 92 dispose que « Le gage est le contrat par lequel le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence sur un bien meuble corporel. Cette définition qui rejoint l'alinéa 2 de l'article 4 ramenant la définition au droit de préférence. Cependant l'article 125 stipule que « le nantissement est l'affectation d'un meuble incorporel en garantie d'une créance... »
Dans cette seconde définition le mot contrat n'est pas utilisé et il n'est pas fait allusion au droit de préférence, nous pensons que ce n'est pas parce que l'objet de la garantie est différente que l'on doit définir la sûreté en fonction de droit mais plutôt en fonction de son objectif.
Voilà donc deux définitions différentes sur deux choses qui ont le même objet et le même but.
B) Les innovations dans le domaine des sûretés personnelles :
Il n'y a pas de création nouvelles sûretés personnelles mais l'appellation de lettre de garantie et lettre de contre garantie ont été supprimées et remplacées par les termes de garantie et de contre garantie autonome mais le régime juridique n'a pas changé. Les seules changements notés concernent le cautionnement : Il s'agit d'une part de l'annexion de l'acte de crédit à la convention de cautionnement qui était obligatoire dans l'ancien droit et qui est devenu facultatif dans le nouveau texte : C'est seulement à la demande de la caution (cf article18)
Il s'agit d'autre part de l'information de la caution qui passe d'un trimestre au semestre (cf l'article 25)
II. Les innovations dans la procédure de constitution et de réalisation des garanties
L'Acte uniforme a introduit la notion d'agent de sûretés chargé de constituer et réaliser les garanties mais il allège aussi la procédure de réalisation de certaines sûretés réelles telle que l'hypothèque.
A) L'agent des sûretés
L'article 5 dispose en ces termes : « Toute sûreté ou autre garantie de l'exécution d'une obligation peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée par une institution financière ou un établissement de crédit en son nom et en qualité d'agent des sûretés au profit des créanciers ». De cette définition il s'infére 3 constats :
1) L'agent des sûretés est toujours une personne morale une institution financière ou plus précisément un établissement de crédit, donc un professionnel de la finance ou du crédit.
Est-ce une nouvelle personnalité juridique à créer, ou ce sont les établissements existants qui sont visés tels que les banques ou établissements financiers. Si tel est le cas une banque peut elle - être à la fois créancier en octroyant le crédit, Agent de sûreté pour constituer la garantie elle même et la réaliser ? le cas échéant, elle serait tout cas être juge et partie.
En tout cas, rien dans le texte n'exclut pas qu'une banque puisse agir pour elle-même en tant qu'agent de sûreté.
2) L'Agent des sûretés est un mandataire qui agit en son nom, mais pour le compte du créancier en constituant la garantie (cf article 7 et 11).
A cet effet les articles 7 et 8 définissent clairement sa mission et ses attributions. Sa responsabilité est engagée comme celle d'un mandataire salarié selon l'article 11. De part cette fonction, il se substitue au notaire dont c'est le rôle habituel. Il peut aussi se charger de la conservation et de la réalisation de la garantie pour le compte du créancier, en cela il se substitue et aux avocats et aux juges, aux notaires.
L'article 8 est clair à ce sujet, en disposant d'une part que les créanciers sont représentés par l'Agent des sûretés dans leur relation avec les débiteurs, leur garant ainsi que les personnes ayant affecté ou cédé un bien en garantie. D'autre part, il ajoute que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conféré par les créanciers l'Agent des sûretés peut intenter toute action pour leurs intérêts y compris en justice, la seule indication qu'il intervient en sa qualité d'agent des sûretés étant suffisante.
Peut il ester directement en justice ou par le moyen d'un avocat en violation de la loi 84-19 ? Qui sait ?
3) La grande curiosité c'est quand l'article 9 prévoit que « lorsque la constitution ou la réalisation d'une sûreté entraîne un transfert de propriété au profit de l'agent des sûretés, le ou les biens transférés forment un patrimoine affecté à sa mission et doivent être tenus séparés de son patrimoine propre. L'on ne comprend pas comment l'agent des sûretés, qui est en principe un mandataire, peut devenir propriétaire des biens objet de la garantie dont il est chargé de la réalisation sans passer par la cession de créance ?
Cette possibilité confirme la thèse selon laquelle la banque ou l'établissement de crédit peut se désigner lui-même agent de sûreté.
En dehors de ce cette hypothèse, nous ne voyons pas dans quelle mesure ce cas pourrait se produire.
B) Innovations dans la réalisation des sûretés réelles
L'Acte uniforme a simplifié la réalisation des garanties portant sur les sûretés réelles. S'agissant des meubles corporels pouvant faire l'objet de gage, l'Acte uniforme autorise (article 104) l'attribution conventionnelle du bien gagé. C'est le retour de la clause de voie parée. Parallèlement la procédure judiciaire reste maintenue.
S'agissant de la réalisation des meubles incorporels pouvant faire l'objet de nantissement, l'Acte uniforme ne s'appesantit pas trop sur les modes de réalisations ; c'est le cas du nantissement des droits d'associés valeurs mobilières. A cet égard, le nouvel Acte uniforme rend facultative la formalité de la signification à la société émettrice, mais ne dit rien sur le mode de réalisation. Dès lors le recours à la procédure de saisie exécution prévue par l'Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement s'impose.
S'agissant des comptes de titres financiers, le transfert de propriété est direct. Il n'a pas besoin d'un titre exécutoire pour la réalisation s'il porte sur une somme d'argent.
S'agissant des titres financiers, la vente peut intervenir directement sur le marché financier.
Dans la réalisation des sûretés réelles, la nouveauté majeure concerne l'hypothèque. D'abord il faut souligner que désormais l'hypothèque doit être inscrite pour une durée déterminée de 30 au maximum (article 196).
La réalisation de l'hypothèque est simplifiée par l'article 108 qui offre la possibilité au créancier de se faire attribuer l'immeuble en justice dans le cas où il ne constitue pas la résidence principale du constituant. Cette demande n'est recevable que dans le cadre d'une saisie immobilière. Mais lorsque le constituant est une personne physique ou morale immatriculée du RCCM et que l'immeuble hypothéqué n'est pas à usage d'habitation, les parties peuvent convenir dans la convention de crédit que « le créancier deviendra propriétaire de l'immeuble hypothéqué » (article 199 al. 1er). Il s'agit alors de la dation en paiement, c'est-à-dire l'attribution directe de l'immeuble au créancier en paiement de sa créance. Mais l'immeuble devra être expertisé au préalable. Cette technique du droit des obligations simplifie réellement la procédure d'exécution en termes de coût et de temps.
Cependant il faut noter que logiquement les articles 198 et 199, et même 200, réglementent la voie d'exécution (même amiable) tendant à l'extinction de la créance et non la sûreté. Ils relèveraient de ce fait plutôt de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution plutôt que l'acte sur les sûretés.
La grande difficulté, c'est comment concilier ces diverses procédures de réalisation ? Il s'agit de la procédure de réalisation de l'hypothèque par la voie de la saisie immobilière prévue dans l'Acte uniforme sur les voies d'exécution et la possibilité offerte à l'Agent des sûretés de réaliser directement les garanties. Par quelle procédure devra-t-il le faire ? Devant quelle instance habilitée ? Est-il autorisé lui même à rendre des décisions en cas de contestation ? Les avocats peuvent-ils intervenir ? Y'a-t-il des interventions de l'huissier ? Sans compter la possibilité donnée aux parties de faire une dation en paiement (une sorte de voie parée en matière immobilière).
Toutes ces questions nous amènent à la conclusion que le nouvel Acte uniforme est un véritable « dolly » juridique dont l'articulation entre les différends membres pose problème.
01/09/2011 150354 ALAIN MILAMBO MBO
Les observations procédurales et de fond faites, sont pertinentes et méritent bien que l'ont s'y penche pour parfaire l'esprit et la lettre de l'acte modifié.