Lecture OHADA par Faustin EKOLLO, Docteur en droit, de l'ouvrage de Daniel KEUFFI : La régulation des marchés financiers dans l'espace OHADA
- 07/09/2011
- 5728
- 1 commentaire
Avant propos des professeurs Yvette KALIEU ELONGO et Paul-Gérard POUGOUE, préface du professeur Michel STORCK, Editions L'HARMATTAN 2010, 420 pages.ISBN 978-2-296-54090-3.
Voici un livre rafraichissant dans un espace OHADA marqué par une relative inculture en matière de marchés et de titres financiers. L'ouvrage est la suite d'une thèse de doctorat soutenue à Strasbourg en 2010, summa cum laude ; les lecteurs de ce site en avait déjà été informés par une note de la lettre d'information du 18/05/2010. Cet outil d'explication et d'argumentation va bien au-delà de l'exercice traditionnel de bien de thèses qui, en général, n'apprennent rien au lecteur moyennement instruit du sujet.
C'est vrai, ce travail est d'abord une somme juridique de ce qu'il faut savoir des marchés financiers dans l'espace OHADA, que ce soit en Afrique de l'Ouest, ou en Afrique Centrale, respectivement territoire de l'UEMOA et de la CEMAC. Mais l'ensemble est loin d'être simplement descriptif. L'auteur procède au recoupement systématique des relations entre les différentes institutions régionales ; il étudie les risques de conflit ou d'inefficacité, il rappelle souvent, dans une perspective comparatiste, les évolutions en France ou dans la communauté européenne. On trouve aussi, sans surprise s'agissant d'un juriste camerounais, de nombreux éléments de droit comparé avec la Common law. La diversité et l'abondance des sources plaisent. Des ouvrages et articles de droit des sociétés et de droit boursier sont amplement cités. Des auteurs français sont présents à côté d'auteurs africains. L'ouvrage n'oublie pas de citer ceux qui contribuent à l'éducation financière à travers la grande presse africaine, comme M.Babissakana. Ce travail intègre aussi avec beaucoup d'aisance des éléments de droit judiciaire (et de contentieux administratif) et ses pages sur l'arbitrage en matière financière relèvent de l'orfèvrerie ; sont analysées évolutions et incertitudes dans une matière qui, historiquement, utilisait l'ordre public pour exclure radicalement l'arbitrage. On est agréablement surpris de lire des pages alternant critiques et propositions sur la difficile question de l'économie informelle ; le constat est que, d'une façon générale, le droit financier dans l'espace OHADA n'en tient pas compte en raison d'une conception essentiellement tournée vers l'investisseur étranger. A cet égard, l'auteur fait preuve d'une forte personnalité : alors qu'il avait préparé sa thèse dans le cadre de l'université de Strasbourg, en association avec l'université de Dschang, il fustige la tendance des autorités OHADA à avoir comme seule source d'inspiration le droit français.
Cette critique est convaincante ; il faut néanmoins noter une évolution postérieure à l'ouvrage dans les Actes Uniformes OHADA publiés au JO OHADA le 15 févr. 2011 (commerce général, coopératives, sûretés). Ainsi, bien que le nouvel Acte Uniforme OHADA sur le commerce général transpose l'auto-entrepreneur français sous la forme de l'entreprenant , on retrouve beaucoup moins d'hostilité qu'en France à l'encontre de la très petite entreprise. Les plafonds prévus par l'Acte Uniforme OHADA sur la comptabilité dans son article 13 (sur le système minimal de trésorerie auquel renvoie l'art. 30 du nouvel acte unique sur le commerce général) sont presque comparables aux chiffres français et, en cas de dépassement, l'entreprenant bénéficie d'un sursis de deux ans pour changer de régime ; cela est réaliste au regard du niveau de vie local pour les TPE panafricaines alors qu'en France, les plafonds de l'auto-entrepreneur manifestent une réelle hostilité contre la TPE. L'OHADA évite ainsi le dirigisme économique caricatural qui place les mécanismes de prélèvements obligatoires avant les opportunités de création de richesse (Voir cependant, mais sous un autre angle, J.-F Gautier, F. Rakotomana, F. Roubaux, La fiscalisation du secteur informel : recherche impôts désespérément, Tiers-Monde 2001, p. 795). Cette meilleure prédisposition envers la petite entreprise et le secteur informel se perçoit aussi à travers les possibilités implicites de coordination entre les dispositions concernant le nouvel entreprenant et les coopératives. Il est aussi appréciable que l'entreprenant ait droit aux baux commerciaux, malgré de légères restrictions sur le droit au renouvellement. Cela change du bricolage et de la confusion qui ont dominé la matière en France, entrainant des dizaines de réponses ministérielles pas toujours cohérentes. Il reste, c'est vrai, que le secteur informel est complètement ignoré par les Actes uniformes OHADA et qu'il s'agit d'une anomalie sérieuse quand on sait qu'il compte pour 60 à 85% de l'activité locale dans la zone OHADA (Prosper Backiny-Yetna Secteur informel, fiscalité et équité, l'exemple du Cameroun, Statéco n° 104/2009 ; Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, Constance Torelli, La mesure de l'emploi et du secteur informels : Leçons des enquêtes 1-2-3 en Afrique, Statéco n° 104/2009. Heureusement que les Actes Uniformes OHADA sont dotés d'une grande souplesse (en dépit de l'insupportable incantation de l'ordre public) ; cela devrait permettre à la pratique de faire montre de créativité pour les adapter au secteur informel (et non le contraire). A ce sujet, on connaît bien sûr la révolution induite par le système de microcrédits au Pakistan par la Grameen Bank du prix Nobel Yunnus Muhammed. Mais connaît-on assez bien, dans la zone OHADA, la révolution plus proche et plus transposable (en pensant aux tontines de la zone OHADA) que représentent les JUA KALI du Kenya ? Le terme jua kali qui connaît une consécration mondiale vient du Swahili et désigne les travailleurs du secteur informel. Depuis presque deux ans, la mise en place de fonds de pension de jua kali au Kenya est en train de permettre l'émergence d'un extraordinaire outil appelé à devenir très vite, et de loin sans doute, la première source de financiarisation et de bancarisation de l'économie kényane, déjouant, une fois de plus, tous les pronostics sur l'évolution du secteur informel. Or, dans le boom économique fondamental que connaît le continent africain, et auquel la zone OHADA ne prend malheureusement pas part comme le souligne M. Keuffi, un tendon d'Achille visible reste la faiblesse des marchés financiers et des réseaux bancaires (Cracking the Next Growth Market :Africa, Harvard Business. Rev., May 2011).
Mais M. Keuffi va encore plus loin dans la mesure où de son travail se dégage nettement « une thèse de la thèse » qui n'a rien d'un exercice égocentrique, bien au contraire. Cette thèse est que, en matière de régulation des marchés financiers, l'immixtion et l'emprise de l'autorité politique (l'exécutif en réalité) font lourdement problème dans la zone OHADA. Certes, M. Keuffi relève le caractère d'avant-garde des choix opérés par les législateurs panafricains qui ont courageusement décidé de mettre en place des organismes de contrôle indépendants, contrairement à ce que l'on voit encore en Europe avec des contrôleurs nationaux (avec néanmoins une évolution après le livre, cf. la préface). Mais M. Keuffi se montre amer devant la mainmise persistante des autorités politiques sur les autorités des marchés par différents biais institutionnels comme l'insertion de régulateurs au sein de dispositifs institutionnels inappropriés ou l'existence de structures politiques nationales tragiquement redondantes par rapports à chaque autorité régionale de marché. On croit au paradoxe en lisant qu'au Cameroun et dans l'UEMOA, la représentation parlementaire ne dispose d'aucun droit de regard sur l'activité des régulateurs. Mais la cohérence du message central reste sans faille puisque, par ce moyen, l'auteur accentue la dénonciation de la main-basse de l'exécutif sur l'ensemble de la régulation financière. Ce serait une erreur d'accueillir cette dénonciation avec indifférence en raison d'une impression trompeuse de déjà-vu. Il ne s'agit pas de questions d'intégrité morale des dirigeants africains, questions sur lesquelles des centaines d'ouvrages et d'articles ont déjà été publiés. Le thème ici est neutre moralement ; il est essentiellement technique, avec un parfum idéologique de l'école Law and Economics, citant d'ailleurs Friedrich Hayek. L'accent est mis sur la nécessité d'un moindre étatisme car le rôle des bourses, dit M. Keuffi, évoquant Comte-Sponville, c'est de rassembler les capitaux dont l'économie a besoin sans que les krachs, scandales et autres problèmes ne remettent en cause ces mécanismes. Il est rassurant et agréable de parcourir un ouvrage si technique dès lors que son auteur s'attache à traiter de questions essentielles pour le plus grand nombre avec un parti pris d'intelligibilité, en excluant toute pompe. Ce travail contribuera sans délai à améliorer les marchés et institutions financières de l'OHADA à un moment où, comme l'avait titré sur fond d'afro-optimisme le Financial Times, Africa's Frontier Market Ready to Score (1er juin 2010). Et c'est vrai, les marchés africains sont prêts, même en zone OHADA ! Ce n'est pas par hasard que les revues juridiques et économiques en France publient de plus en plus d'articles sur ce thème (L'appel public à l'épargne au sein de la CEMAC et de l'UEMOA par une société étrangère à l'espace OHADA, S. Thouvenot et E.Aubriot, Cahiers de droit de l'entreprise n°1, janv. 2010, doss. 4)
On regrettera bien sûr que l'ouvrage n'ait pas été publié, disons, un an plus tard. On aurait alors bénéficié de commentaires de l'auteur sur les recours historiques du Togo et du Cameroun aux marchés financiers locaux pour l'émission d'emprunts importants avec d'ailleurs un indiscutable succès en termes de couverture. On devine que l'auteur aurait rangé dans son chapitre sur l'emprise inadmissible des autorités politiques la tentative de « réquisition » de l'ex-président de Côte d'Ivoire sur la bourse régionale d'Abidjan... Quid du désir du président Wade de créer à Dakar une bourse concurrente à celle d'Abidjan ? Si l'ouvrage avait été publié avec un décalage de quelques mois, on aurait aussi sans doute bénéficié du point de vue de l'auteur sur les nouveaux mécanismes liés à l'acte uniforme sur les sûretés n° 2 : l'agent de sûreté, les modalités nouvelles ou renouvelées en ce qui concerne les nantissements des titres financiers ou des comptes bancaires, ainsi que l'évolution des techniques de sûreté empruntant (timidement) à la floating charge. Ces frustrations liées au calendrier sont doublement évoquées par le préfacier, le professeur Michel Storck ; il signale l'évolution du droit européen des contrôles par des autorités régionales, évolution qui donne raison après-coup à M. Keuffi ; le professeur Storck mentionne surtout le très important Dodd-Franck Act américain du 15 juillet 2010 destiné, entre autres, à améliorer la responsabilité et la transparence dans les marchés financiers, en mettant fin à la mentalité too big to fail. Or les débats parlementaires autour du méga-projet de loi de 2.000 pages tournèrent autour de deux questions: pourquoi une nouvelle régulation pour assainir les marchés financiers alors que le Sarbanes-Oxley Act ne date que de 2002 (en réaction aux méga-faillites d'Enron et de WorldCom, rappelez-vous !) et quelle place pour l'Etat dans cette régulation?... Presque le thème de Monsieur Keuffi ! Pour clore cette parenthèse, il faut signaler l'ouvrage de l'ancien procureur général, puis gouverneur de l'Etat de New York, Eliot Spitzer, Government Place in the Market (Boston Review Books, 2011). Ce petit livre contient les contributions de deux importants économistes universitaires, Dean Baker & Robert Johnson ; c'est un intéressant pamphlet sur le même sujet que Monsieur Keuffi, en remplaçant OHADA par USA et en mettant l'accent sur la nécessité d'une intervention de l'Etat pour contribuer à la police des marchés !
L'ouvrage de M. Keuffi est présenté d'une manière à la fois agréable et propice au travail, puisqu'on trouve, outre la traditionnelle table des matières, un index détaillé et une belle liste de références bibliographiques. L'auteur semble se destiner à la profession d'avocat. Mais la qualité de son ouvrage lui permettra aussi, selon ses choix, d'enseigner à l'université ou d'assister les autorités panafricaines de régulation des marchés financiers.
Lecture par Faustin EKOLLO, Docteur en droit
faustekollo@aol.com
13/09/2011 090909 MEYAP FOGUEN FLORENCE
Docteur EKOLLO,
C'est avec un réel plaisir que j'ai eu le privilège de prendre connaissance de votre "lecture" de l'ouvrage de M. KEUFFI.
Vous m'intriguezpar vos connaissances du marché financier! Et je me sens mal dans la peau de M. KEUFFI.
Quelle lecture! Elle est extraordinaire; absolue, dépourvue de toute zone d'ombre et active la curiosité intellectuelle.
Dans tous les cas, recevez mes sincères félicitations pour cette vue magistrale et actualisante de l'ouvrage de M. KEUFFI.
Pourriez-vous m'indiquez où me procurer ce précieux sésame à Douala?
Je vous remercie d'avance.