Arbitrage International / France / article 1526 Code de Procédure Civile / Arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 avril 2013
- 30/04/2013
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Plusieurs affaires mettent en lumière aujourd'hui les risques et les limites de l'arbitrage et ternissent malheureusement gravement son image en France et à l'international. On pense à l'affaire TAPIE, au scandale arbitral qui touche le Groupe TOTAL ou bien à l'arbitrage ICDR impliquant un arbitre démissionnaire d'un grand cabinet canadien massivement et publiquement conflicté, le centre d'arbitrage et le nouvel arbitre désigné par ce centre se fourvoyant en violant ouvertement les règles les plus élémentaires de l'arbitrage exigeant l'indépendance, l'impartialité de l'arbitre et imposant à ce dernier de très strictes obligations de révélation. Dans ce dernier cas, le Parquet de Paris a requis l'ouverture d'une information judiciaire pour faux et usage de faux qui a été confiée au juge d'instruction Renaud VAN RUYMBECKE. Ces trois affaires sont reprises dans l'Article du Journal LE POINT, paru le 24 avril sous le titre « L'arbitre juge et partie »
Dans ce contexte délétère qui rappelle le rôle essentiel que doit jouer le juge judiciaire dans le contrôle de la justice arbitrale privée et démontre la nécessité pour les Etats de prendre des lois protectrices des droits fondamentaux des justiciables et de la règle de droit, face à une justice privée qui dans certains cas s'assimile à un instrument de vol et de prédation, on ne peut que se féliciter de l'ordonnance rendue le 23 avril 2013 par le Premier Président de la Cour d'Appel de Paris en matière d'arbitrage international.
Dans cette ordonnance, la Cour d'Appel de Paris semble prendre conscience des effets potentiellement dévastateurs de l'article 1526 du code de procédure civile qui dispose que l'appel contre l'ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger n'est pas suspensif de l'exécution de cette sentence en France. Nous vous avions nous-même alertés sur le caractère absolument insoutenable de cet article qui procède du décret du 13 juillet 2011 et qui prive d'effet suspensif le recours en annulation des sentences arbitrales et l'appel de l'ordonnance d'exequatur.
En effet, les conséquences de cet article sont les suivantes :
- l'exequatur de la sentence étrangère est accordée en France sans débat contradictoire et en pratique sans contrôle autre que formel,
- l'appel de l'ordonnance d'exequatur n'étant pas suspensif, cette sentence peut dès lors être exécutée en France et toute somme ainsi collectée peut être transférée par la partie étrangère à l'étranger en dépit de l'existence d'une procédure d'appel introduite contre cette ordonnance d'exequatur,
- si l'ordonnance d'exequatur est réformée en appel, cette décision française n'affecte pas la validité de la sentence ailleurs dans le monde et notamment dans le pays où les sommes en question ont été transférées.
- dès lors, sauf annulation de cette sentence par les juridictions du siège de l'arbitrage, la partie à l'encontre de laquelle la sentence aura été exécutée en France ne pourra probablement jamais récupérer les sommes en question, celles-ci ayant été perçues en vertu d'une sentence arbitrale demeurant valable dans le pays en question.
En d'autres termes, il est probable que tout juge étranger, même à l'intérieur de l'UE, refusera d'ordonner la restitution de sommes perçues en vertu d'une sentence arbitrale valide simplement parce que le juge français, en appel, a finalement refusé l'exequatur de cette sentence en France.
Le Premier Président de la Cour d'Appel de Paris, dans son ordonnance du 23 avril dernier, déduit de cette simple circonstance (et de l'importance des montants en cause en l'espèce) que l'exécution de la sentence, alors qu'un appel de l'ordonnance d'exequatur est pendant, serait susceptible de gravement léser les droits de la partie défenderesse. Cette ordonnance autorise en conséquence la consignation des sommes jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel statuant sur l'appel contre l'ordonnance d'exequatur.
Ce raisonnement pourrait être tenu à l'identique à propos de toute sentence étrangère dont l'ordonnance d'exequatur en France fait l'objet d'un appel. Si cette jurisprudence était confirmée, cela viderait de la plus grande partie de sa substance la disposition de l'article 1526 prévoyant le caractère non suspensif de l'appel contre l'ordonnance d'exequatur et le recours en annulation contre une sentence internationale.
Cette ordonnance du Premier Président la Cour d'Appel de Paris va donc dans le sens de la cause que nous plaidons auprès du gouvernement et du Parlement. En tout état de cause, notre conviction la plus intime est que cet article 1526 CPC va beaucoup trop loin. Il n'est tout simplement pas viable, sauf à réformer l'article 1516 du CPC qui dispose que « la procédure relative à la demande d'exequatur n'est pas contradictoire ». La meilleure façon de sécuriser la procédure d'exequatur, sans pour autant retomber dans les travers combattus par la réforme de 2011, consisterait dès lors à rendre la procédure contradictoire en première instance tout en l'encadrant dans des délais très stricts.
C'est la proposition de réforme qui a été soumise récemment au Gouvernement français, à la lumière des affaires rappelées supra qui ternissent gravement l'image de l'arbitrage.
06/05/2013 060622 WEKIN
j'ai été très édifié par cet article