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Les limites, risques, périls et dérives de l'arbitrage (Revue Challenges, 29 août / 4 Septembre 2013)

  • 03/09/2013
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Dans le prolongement de nos précédentes newsletters, nous tenons à porter à votre connaissance l'article paru dans le dernier numéro (29 août / 4 Septembre 2013) de la revue Challenges sous le titre « La vérité sur... les dessous de l'arbitrage », article qui illustre bien les limites, risques, périls et dérives de l'arbitrage.

Compte tenu de la place de l'arbitrage dans l'OHADA et du fait que l'OHADA a posé les bases de l'arbitrage en Afrique, votre site www.ohada.com a pour mission de promouvoir l'arbitrage OHADA comme mode de règlement alternatif des litiges. Il se trouve que l'arbitrage OHADA est strictement encadré par les instruments juridiques de l'OHADA (Traité, Acte uniforme et Règlement d'arbitrage de la CCJA) et dispose ainsi des garde fous judiciaires indispensables qui peuvent, on le voit dans les affaires citées par cet article et que nous vous avons détaillées dans des articles antérieurs, faire défaut dans les autres grands systèmes d'arbitrage internationaux, qu'ils soient européens ou nord-américains. Ces garde fous apportent notamment la garantie du bon respect des principes fondamentaux, qui participent de l'essence même de l'arbitrage, l'indépendance, l'impartialité et les obligations très strictes de révélation des arbitres. A ce jour, aucun cas de violation caractérisé et non sanctionné de ces principes n'a jamais été révélé en Afrique.

Il reste que l'arbitrage est une justice conventionnelle et privée. Le recours à ce mode de règlement des litiges, souvent conseillé par les cabinets d'avocats, directement concernés car très souvent les arbitres sont des avocats et les honoraires liés à l'arbitrage représentent des sommes considérables, doit être très mûrement réfléchi par les parties. Il faut toujours avoir à l'esprit que l'arbitrage nécessite des moyens financiers colossaux et que signer une clause compromissoire avec plus riche et plus fort que soi comporte des risques monumentaux pour la partie la plus faible, l'arbitrage restant une justice de riche.

Enfin, le choix d'une procédure d'arbitrage induit nécessairement le risque du choix du ou des arbitres avec les risques de non-respect des obligations de révélation des liens avec les parties ou leur conseil et de conflit d'intérêts, questions qui intéressent grandement la justice pénale française en ce moment.

L'affaire Tapie, l'arbitrage ICDR impliquant l'arbitre canadien Henri C. Alvarez, avocat associé du cabinet FASKEN MARTINEAU affaires qui ont fait l'objet de nombreuses newsletters de votre site www.ohada.com et citées dans l'article infra en sont des exemples flagrants qui défraient la chronique de l'arbitrage et en démontrent les limites, risques, périls et dérives.

Article de Revue Challenge Septembre 29 août / 4 septembre 2013 :

LA VÉRITÉ SUR... LES DESSOUS DE L'ARBITRAGE.
Auteur : Laurent CALIXTE

Avec la mise en examen de Pierre Estoup pour « escroquerie en bande organisée » dans l'affaire Tapie, un coin de voile a été levé sur la procédure de l'arbitrage. Rien à voir avec la justice classique, où les magistrats appartiennent à la fonction publique, et qui offre l'impartialité de l'Etat. Il s'agit d'une justice « privatisée » rendue par des arbitres choisis et rémunérés par les parties en litige. Ce ne sont pas des juges, mais des experts sélectionnés pour leur bonne connaissance de tel ou tel secteur. En France, le vivier d'arbitres comporte 1.300 professionnels, dont d'anciens magistrats, comme Pierre Estoup.

Droit civil commercial

Le tout est encadré par la loi, qui n'est pas celle de la jungle. Il s'agit ici de droit civil commercial, la justice gardant le monopole du droit pénal ou de celui de la famille. Pas question, par exemple, de régler via l'arbitrage des affaires de meurtre, d'escroquerie, de garde d'enfant. « C'est une procédure encadrée par l'article 1442 et suivants du Code de procédure civile », détaille Andrea Carlevaris, secrétaire général de la cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (ICC).

Cet organisme, basé à Paris, supervise les arbitrages dits « administrés » - les arbitrages « ad hoc » étant librement organisés par les parties en litige, sans institution pour les contrôler. Le bâtiment de l'ICC est imposant : quartier huppé du triangle d'or parisien, immeuble en pierre de taille, escalier intérieur monumental en marbre. Mais le mobilier est vieillot - disons qu'il était moderne dans les années 1970 - et évoque celui des ministères parisiens ou du siège de l'OCDE : fauteuils en Skaï, moquette verdâtre, tables en acajou. Cette décoration, imposante mais décatie, rappelle à la fois le côté institutionnel de l'ICC et son caractère non lucratif, puisqu'elle est dotée du statut associatif de 1901.

Le dossier Tapie - qui était un arbitrage ad hoc - n'est que la face émergée d'un iceberg plus imposant qu'on pourrait le croire. Parmi d'autres parties en litige, que du beau monde : Edison contre Qatar Ras Gas, Areva contre le finlandais TVO, EDF contre l'Etat du Bade-Wurtemberg. Le montant moyen des litiges tourne autour de 15 millions d'euros, et le phénomène est en augmentation constante. Depuis la création de l'ICC, en 1919, quelque 200 cas étaient traités en moyenne chaque année, mais depuis deux décennies, c'est l'inflation. Plus de 500 cas en 1999, et aujourd'hui ce chiffre tourne autour de 800, ce qui fait de Paris une place importante pour des arbitrages internationaux qui, il est vrai, peuvent recevoir en France un « exequatur » de la cour d'appel, un sésame qui atteste de leur caractère officiel et leur donne aussi force exécutoire à l'étranger.

Une « justice business class »

Outre cet encadrement juridique, l'arbitrage présente de nombreux avantages : « Il est parfois nécessaire quand les deux parties sont de deux nationalités différentes et qu'aucune des deux ne veut appliquer la législation du pays de l'autre partie », souligne Andrea Carlevaris. Ensuite, et c'est souvent un atout décisif, la procédure est en principe rapide : de six à douze mois, et dix-huit mois au maximum, alors qu'il faut plusieurs années pour un procès civil classique. Dès lors, les entreprises se satisfont souvent de cette « justice business class » pour régler leurs litiges. « Souvent, l'arbitrage n'est possible que si les deux parties sont de même importance ou de même taille, explique un avocat spécialisé. Ainsi, une multinationale ne peut pas imposer un arbitrage à une PME ou à un particulier, lesquels ont en fait intérêt à saisir la justice classique, moins onéreuse. »

Problème : l'arbitrage est parfois, dans les faits, une obligation. Par exemple pour les PME signant avec des entreprises chinoises, qui imposent presque systématiquement le recours à l'arbitrage dans leurs contrats internationaux. Et aussi pour les particuliers, qui souscrivent - souvent sans le savoir - des clauses d'arbitrage, par exemple pour un banal achat sur Internet. Dès lors, ils renoncent au recours à des tribunaux classiques.

Quelques histoires édifiantes

Pot de terre contre pot de fer : souvent, l'une des parties part à l'arbitrage en position de faiblesse. Jacques-André Prévost, propriétaire d'un domaine au Cameroun, en a fait l'expérience. Il s'engage fin 2007 dans une procédure contre l'administration de ce pays. Un tribunal de trois arbitres est formé, dans lequel on retrouve Pierre Estoup. En mai 2011, alors que le dossier s'enlise, Jacques-André Prévost s'adjoint, « sur les conseils de l'institution arbitrale », les services de l'avocat Maurice Lantourne. Mais les liens supposés de ce dernier avec Pierre Estoup - déjà ! - entraînent la récusation de ce dernier par la cour de l'ICC. Piégé, Jacques-André Prévost regrette de s'être lancé dans cette procédure qui lui a déjà coûté 1,5 million d'euros.

Les histoires de ce genre abondent. Le 14 juin dernier, le juge Renaud Van Ruymbeke a, par exemple, entendu et placé sous statut de « témoin assisté » Henri Alvarez, un juriste canado-vénézuélien désigné en 2009 pour arbitrer un différend entre la société guadeloupéenne Loret et le groupe américain Leucadia. Mais la PME antillaise découvre des liens d'affaires entre la partie adverse et l'arbitre. Ce dernier démissionne, une information judiciaire pour « faux et usage de faux » est ouverte, mais la procédure d'arbitrage international suit son cours, l'institution qui la chapeaute -l'ICDR, qui siège aux Etats-Unis- ayant refusé de révoquer Alvarez.

C'est que le monde de l'arbitrage forme une caste où l'entre-soi et l'entregent sont les clés de la réussite. « Lors des congrès à Genève ou ailleurs, on prospecte, on fait des rencontres, et il importe de s'offrir une suite sur le lac Léman pour en imposer, quitte à se nourrir de biscottes pendant le séjour », raconte un connaisseur de ce milieu où, parfois, lors de la signature de l'obligatoire « déclaration d'indépendance », la mémoire défaille. Ainsi, l'arbitre Pierre Estoup aurait omis de préciser qu'il connaissait Bernard Tapie lorsqu'il a accepté en juillet 2008 d'être l'un des trois arbitres chargés de régler le litige. Au moins n'a-t-il pas été trop gourmand. Avec Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin, ils se sont partagé 1 million d'euros. Alors que le barème de base était de 1,5 million.

Article rédigé par Laurent Calixte

Joseph KAMGA AEDJ
Email : joseph.kamga@aedj.fr

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