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L'intérêt des praticiens du droit pour l'OHADA

  • 26/05/2015
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Auteur : Caroline Dupuy

Droit et Patrimoine - 2015, n° 247

Sans le développement du droit, une économie ne peut prospérer. La zone Ohada, qui s'est dotée d'un système juridique commun et sécurisé en droit des affaires, en est le parfait exemple. La concurrence y est de plus en plus rude. Pour sa première implantation en Afrique, un cabinet international vient de choisir la Côte d'Ivoire et non le Maghreb ou l'Afrique du Sud. Parallèlement, les praticiens locaux s'organisent : un barreau Ohada est en cours de constitution et les formations se multiplient. En 2014, deux cursus ont vu le jour à Paris, avec le soutien d'avocats français et du Conseil supérieur du notariat.

Explications.

Depuis quelques semaines, Sydney Domoraud-Operi exerce à plein temps à Abidjan. Cet ancien avocat parisien pilote désormais - en tant que conseil juridique agréé auprès de la Chambre nationale des conseils juridiques de la Côte d'Ivoire - les activités d'Orrick RCI. Si le cabinet américain a choisi ce pays d'Afrique de l'Ouest comme première installation sur le continent, c'est par la volonté de Pascal Agboyibor, patron Afrique d'Orrick, basé à Paris. Pour lui, pas de doute : « c'est une période cruciale pour les Africains. Ils font face à de nombreux défis mais ont également un état d'esprit exceptionnel. Nous sommes très honorés de rejoindre cette communauté ». Au sein de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), une zone regroupant 17 pays d'Afrique subsaharienne francophone dotée depuis 1993 d'un système juridique commun, cette installation d'un géant mondial du droit est une première. Preuve de l'intérêt des praticiens pour une zone de 200 millions d'habitants en plein boom économique. « Après la Chine, l'Afrique cristallise aujourd'hui toutes les attentions des entreprises et de leur business plan », confirme Olivier Chaduteau, associé gérant de Day One qui vient de piloter une étude sur le paysage des affaires et du marché du droit en Afrique subsaharienne (v. Dr. & patr. l'hebdo 2014, no 992, p. 3). Certains facteurs économiques justifient cet engouement : croissance démographique, taux de croissance, superficie inégalée de terres agricoles non encore exploitées, développement sans précédent des outils technologiques...

Partenariats ou implantations.

À Paris, encore plus depuis l'éclatement de la crise financière en 2008, on ne compte plus les équipes dédiées à l'Afrique. Les avocats d'Herbert Smith, Linklaters, Eversheds, Clifford Chance, White & Case, pour citer les anglo-saxons, mais aussi de Gide, Jeant et Associés ou Fidal ou de niches comme Lazareff Le Bars se démènent pour conseiller États et multinationales opérant sur le continent. Parmi leurs domaines de prédilection, les grands projets d'infrastructures, les ressources naturelles, les fusions-acquisitions ou les questions d'arbitrage. C'est ainsi que le bureau parisien de Bird & Bird conseille le Togo sur la mise en valeur de ses immenses ressources en phosphates, un projet de plusieurs milliards d'euros. Ou qu'Orrick accompagne la Guinée dans une importante procédure d'arbitrage opposant le petit pays minier à un géant du secteur... « Je vous mets au défi de trouver un cabinet d'avocats d'affaires à Paris qui dit qu'il n'est pas spécialisé sur l'Afrique », lance Thierry Lauriol, avocat associé du cabinet Jeant et Associés et personnage historique du conseil en Afrique avec quelques autres figures parisiennes comme Stéphane Brabant, Christophe Asselineau ou Jean-François Mercadier. Celui qui, selon ses propres dires, est tombé tout petit dans l'Ohada n'hésite pas à tacler ses collègues : « aujourd'hui les vrais spécialistes de l'Afrique se comptent sur les doigts des deux mains, pas plus ». Un autre intervenant historique sur le continent, Gide, tient également à préciser qu'« il convient de distinguer les cabinets qui travaillent pour les banques et qui interviennent rarement sur le terrain, et les développeurs comme nous, qui conseillent les États, les groupes industriels ».

Le fait est que si un nombre croissant de cabinets internationaux ouvre des bureaux au Maghreb ou en Afrique du Sud, rares sont ceux qui envisagent de faire la même chose dans un des pays de l'Ohada. « Nous n'ouvrirons pas de franchise. Nous préférons fonctionner via notre réseau de cabinets africains. D'autant plus que les compétences locales s'améliorent considérablement », explique François Krotoff, associé chez Gide. Même écho du côté de Jeant et Associés : « Nous fonctionnons depuis le début avec un réseau de correspondants. Quel est l'intérêt de parachuter un cabinet français en Afrique ? », interroge Thierry Lauriol. Alors, depuis Paris, les avocats tissent des réseaux avec des confrères africains. Le réseau de Gide en Afrique, aujourd'hui en pleine refonte, a par exemple été créé en 1995. Fin 2013, Eversheds a lancé son Africa Law Institute. Fidal a quant à lui annoncé le 12 mars dernier son alliance avec Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés, l'un des plus importants cabinets ivoiriens. « Les spécificités locales sont traitées par nos partenaires. De notre côté, nous apportons à nos clients notre expérience, notre pratique sur des sujets internationaux très ciblés », explique Christophe Eck, associé chez Gide.

Pour Mamadou Ismaïla Konaté, avocat associé de Jurifis Consult au Mali, pas de doute, « nous pouvons mettre en avant deux atouts phares : la possibilité de frapper à la bonne porte, y compris celle d'un ministre, si besoin. Mais aussi une connaissance du terrain qui nous permet de prévenir les investisseurs étrangers qui se laisseraient berner, en affaires, par des personnes peu fréquentables ». Thierry Lauriol en est convaincu : « il faut avoir confiance dans les structures africaines et ne pas hésiter à les former si besoin ». Côté formation justement, fin 2013, le cabinet Clifford Chance a lancé la Clifford Chance Africa Academy dont l'objet, est de « développer un savoir-faire technique et une connaissance approfondie du monde des affaires pour offrir le meilleur service possible aux clients ». Autres exemples : deux diplômes d'université ont été créés à Paris, spécialisés sur le droit Ohada et largement ouvert aux praticiens africains.

La place des avocats africains

Ces derniers sont en effet très demandeurs. « De plus en plus d'avocats africains nous sollicitent pour assister à des formations et prendre une place sur ce marché, confie Mamadou Ismaïla Konaté, qui est aussi l'interlocuteur privilégié de l'Université Paris 2 pour les questions de formation des avocats dans son pays. Nous sommes peu nombreux aujourd'hui à être spécialisés sur le droit des affaires, mais les Africains n'ont plus le choix. Le droit Ohada est une discipline incontournable que nous partageons avec les Européens, les Américains et même les Asiatiques ».

En Afrique, le prestige de l'avocat en robe reste encore supérieur à celui de l'avocat conseil, mais les choses changent peu à peu. Notamment sous l'influence des Africains de la diaspora. « Il faut compter sur un nombre croissant d'avocats africains formés à l'étranger qui reviennent dans leur pays d'origine en arborant une double culture. Ce qui facilite le contact avec les clients occidentaux », résume Olivier Chaduteau. Au Sénégal, Habibatou Touré (cabinet Habibatou Touré) et en Guinée, Salimatou Diallo (SD Avocats) se sont rapidement fait une réputation. Toutes deux sont des anciennes de Herbert Smith à Paris...

Parisiens et Africains devraient continuer à se rapprocher. Des initiatives sont d'ailleurs déjà en projet. Par exemple, sous la houlette de Mamadou Ismaïla Konaté, la création d'un barreau Ohada est à l'ordre du jour. La structure privée, basée à Abidjan, s'intéresserait à l'éthique, à la déontologie mais aussi à la formation des avocats. « Tous les avocats d'affaires spécialisés sur le droit Ohada sont conviés, y compris les Français. Ce projet est soutenu par le barreau de Paris et un grand nombre de barreaux africains », conclut son concepteur.

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