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COMORES / Droit OHADA et émergence « Il serait temps que le peuple comorien s'approprie cet instrument de droit pour accompagner la vision d'émergence du chef de l'Etat »

  • 18/05/2017
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photoLe docteur Mandiangu Ma-Nzeza (Donat), expert en droit des affaires OHADA et ancien enseignant à l'Université des Comores, a fait de la vulgarisation du Droit OHADA auprès des juristes et étudiants en droit un combat personnel. De sa dernière conférence-débat organisée au centre universitaire de Patsy à ce sujet, nous est venue l'idée de l'interviewer, a fortiori lorsqu'il émet le vœu d'accompagner par ce biais la vision d'émergence du président Azali Assoumani.

Vous avez, samedi 15 avril dernier, exposé sur le thème du « Rôle du droit de l'OHADA dans l'émergence des Comores », devant les étudiants du centre universitaire de Patsy. Ceci, notamment pour les aider à « comprendre la place prépondérante du droit des affaires OHADA qui doit accompagner l'économie émergente ». A travers cet échange, avez-vous pu jauger l'idée que se font les étudiants de l'OHADA ?

Nous avons assuré l'enseignement du Droit de l'OHADA à l'Université des Comores durant 8 ans et des formations spécifiques au CUFOP (Centre Universitaire pour la Formation Professionnelle) et dans une institution financière décentralisée. Nous savons qu'au départ, il n'est pas évident de faire comprendre, surtout aux étudiants de 1ère année, le concept de l'OHADA. Par contre dans la salle, ceux qui sont en 2ème et 3ème années, dernières promotions que j'avais enseignées, avaient posé des questions.

Vous disiez aussi « tenter de dire l'apport important, si pas essentiel, du droit de l'OHADA dans la vision du chef de l'Etat de faire des Comores un pays émergent » d'ici à l'horizon 2030. Avez-vous le sentiment que ce volet n'est pas suffisamment pris en compte dans cette vision ?

Il n'est nullement question de notre part de faire allusion pareille. D'ailleurs connaissant la qualité des collaborateurs du chef de l'Etat, nous sommes persuadés du contraire. Pour attirer les investisseurs, les aspects de protection de l'investissement est un facteur fondamental de tout capitaine d'industrie qui se respecte. D'une manière générale, le climat des affaires est un facteur déterminant le choix d'investir dans tel ou tel pays. Le vice-président en charge de l'Economie est un ancien enseignant du droit de l'OHADA à l'université. Il sera, par ailleurs, invité aux journées OHADA Bordeaux 2017, les 22 et 23 juin prochain, organisées par le Club OHADA Bordeaux, avec pour thème « l'OHADA face aux nouveaux défis économiques de l'Afrique ». Donc, comme vous pouvez le remarquer, même les Européens s'intéressent à l'OHADA avec la création de club !

Au fait, qu'est-ce que l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique des droits des affaires ?

C'est la mise en commun des intelligences africaines des hommes d'affaires et des intellectuels juristes qui ont pensé à l'émancipation de l'Afrique du point de vue juridique et judiciaire. Ils ont cru que l'insertion de l'Afrique dans le concert des échanges internationaux devrait passer par une communauté de vue, notamment le dépoussiérage des droits des affaires hérités des colonisations, créer un droit moderne, adapté à nos us et coutumes. Allant plus loin, mettre à la disposition de nos Etats, un droit simple, moderne et qui peut être compris par tous, notamment l'élimination de l'insécurité juridique (grâce aux Actes uniformes) et de l'insécurité judiciaire (grâce à l'arbitrage et une Cour de justice supranationale). Basée sur trois piliers, le Traité, les Institutions et les Actes Uniformes, elle met à la disposition des Etats parties des législations modernes élaborées par des experts de l'Organisation, avec la participation des Etats parties pendant les travaux préparatoires. Puis ces Actes sont adoptés par le conseil des ministres (représenté par deux ministres par Etat, de la Justice et des Finances). Enfin, Ils intègrent directement le droit positif de chacun des Etats parties. La particularité, l'unicité de la jurisprudence de l'OHADA assurée par la CCJA (Cour Commune de Justice et d'Arbitrage).

Et ce fameux Plan comptable de l'OHADA, en quoi est-il avantageux ?

Parlons plutôt du droit comptable et de l'information financière, dont le plan comptable en fait partie. Il s'agit d'un outil essentiel de gestion d'entreprise. Il oriente et présente des résultats des entreprises, non seulement du point de vue financier, mais aussi du point de vue économique. Puis son utilisation permet aux entreprises communautaires d'être comparées à celles d'autres du monde qui pratiquent la norme IFSR (International Financial Reporting Standard, ou Normes internationales d'informations financières, Ndlr). En plus, l'information de l'entreprise peut être connue périodiquement, notamment trimestriellement. L'ensemble de ces informations annuelles constitue la « liasse fiscale » prévue dans le Code général des impôts.

Les Comores font partie des sept premiers Etats signataires du Traité de la création de l'OHADA à l'Île Maurice en 1993. En tant qu'expert du domaine, pouvez-vous nous dire si les actes uniformes de cette organisation sont-ils suffisamment entrés dans les mœurs juridiques et judiciaires de notre pays, sinon ce serait à cause de quoi ?

A notre connaissance, on dirait qu'il y aurait une certaine pesanteur qui plombe « l'émergence » du droit de l'OHADA. Apparemment il y a très peu des personnes qui s'y intéressent. Peut-être parmi des raisons, nous pouvons citer l'ignorance de ce droit, notamment chez beaucoup de cadres diplômés hors des Etats parties de l'OHADA. C'est ainsi que plusieurs enseignants de comptabilité utilisent le plan comptable français ou malgache ; pourtant la présentation des comptes et des états financiers est un peu différent.

Vous le dites vous-même, « une première affaire vient d'être tranchée par la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) en provenance des Comores en décembre 2016, alors que depuis son existence, certains pays ont introduit des centaines d'affaires ». Comment expliquez-vous que les opérateurs économiques comoriens se soient contentés des seules institutions judiciaires comoriennes pour régler leurs litiges, malgré leur réputation pas vraiment reluisante ?

Nous pouvons dire du désintérêt et de l'ignorance des auxiliaires de justice, notamment les avocats, les huissiers, lors de l'introduction d'instance. Plusieurs dossiers sont introduits sans base juridique. Nous avons connu des cas où le juge était ignorant du droit de l'OHADA, mais avec preuve de l'Acte en main, il a tranché normalement. Et d'ailleurs, à la lecture de l'arrêt de la CCJA, il est remarquable de se rendre compte que le moyen en cassation de la requérante est reproduit dans l'Acte uniforme incriminé, à savoir de droit des sociétés commerciales et du GIE. Donc, si l'introduction d'instance avait été bien motivée, le juge de première instance aurait tranché dans la même direction que la CCJA.

Pourquoi seulement 17 Etats membres de l'OHADA à ce jour sur 54 Etats que compte le continent africain ? Et pourquoi a-t-il fallu aller jusqu'au Canada pour réviser le Traité de cette organisation en 2008 ?

Les Etats francophones sont à la base de la constitution de l'OHADA : Afrique de l'ouest et centrale. Excepté deux Etats. Pour les Etats anglophones, ils sont en attente. Peut-être un problème d'inadéquation système Common Law et romano-germanique. La révision s'est faite en marge de la réunion de la Francophonie au Canada. Des économies, non ?

Certains trouvent que l'introduction de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement dans le Traité révisé de l'organisation tend à la « politiser » et à la rendre coûteuse plus qu'à la rendre techniquement efficace...

Le Conseil des ministres (pouvoir législatif) adoptent les Actes uniformes. L'implication des chefs d'Etat et de gouvernement donne un relief et une puissance supérieure. Vous le savez bien l'instrument économie est le bras armé du politique. Pas d'économie, pas de politique.

Le mot de la fin... ?

Il serait temps que le peuple comorien s'approprie cet instrument de droit pour accompagner la vision d'émergence du chef de l'Etat. Plusieurs personnes bien informées, parmi nos partenaires au développement, nous disent que des vrais investisseurs hésiteront. Ainsi une campagne d'information suivie de formations permanentes des différentes catégories socioprofessionnelles concernées seraient nécessaires.

Interview Al-Watwan n° 3167 du 27 avril 2017
Propos recueillis par Sardou Moussa

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