Le gage de stocks, un instrument de crédit innovant en droit OHADA
Leviers majeurs de compétitivité des entreprises, les stocks ont depuis toujours joué diverses fonctions au sein de la compatibilité des entreprises soumis au droit OHADA : garantir la productivité de l'entreprise, assurer les commandes, enjoliver les bilans... Mais est-il utilisé ? L'analyse de Sylvie Bissaloue, avocate au Barreau de Lyon, chargée de cours à l'Université de Parakou (Bénin).
Avec ce type de gage, les stocks s'invitent depuis peu dans la sphère du financement de l'entreprise. Effet de commerce d'une catégorie particulière, le bordereau de gage de stocks permet de vaincre les réticences de ses créanciers en leur offrant des garanties d'exécution de l'engagement cambiaire souscrit en vue de l'obtention d'un financement.
Les stocks représentent pour l'entreprise une valeur monnayable lors de la recherche de financement. Peu connu du grand public, le gage de stocks permet à l'entreprise de faire financer sa trésorerie par un établissement de crédit en fournissant à ce dernier une garantie sur ses stocks.
En France, l'article L. 527-1 du Code du commerce le définit comme la « convention par laquelle une personne morale de droit privé ou une personne physique accorde à un établissement de crédit ou à une société de financement qui lui a consenti un crédit pour l'exercice de son activité professionnelle, le droit de se faire payer sur ses stocks de préférence à ses autres créanciers » (Le législateur OHADA ne définit pas le gage de stocks. Il se contente d'en préciser le régime juridique).
Par le recours au gage, l'entreprise apporte en garantie de lignes de financement un stock de marchandises, matières premières, produits finis ou semi finis. Cet apport est matérialisé dans un bordereau dit bordereau de gage de stocks. Ce dernier a le double avantage d'être à la fois un gage et un instrument de crédit.
Un gage « bien » particularité.- Naguère nantissement de stocks, le gage de stocks est une catégorie bien particulière de gage. Il obéit au droit commun du gage énoncé notamment aux articles 92 à 117 de l'Acte uniforme sur les sûretés (AUS), en plus des règles spécifiques au bordereau de gage de stocks, aux assurances supplémentaires devant couvrir les stocks gagés et à la consignation du prix en cas de vente des stocks gagés.
L'AUS l'envisage dans le cadre des dispositions particulières à certains gages de meubles corporels sous les articles 120 à 126. L'article 120 de l'AUS prévoit ainsi que peuvent faire l'objet d'une telle garantie, les stocks de matières premières, les produits d'une exploitation agricole ou industrielle et les stocks de marchandises appartenant au débiteur. Ces stocks sont estimés en valeur à la date du dernier inventaire.
On note ici que contrairement à son homologue français (France, C. com., art. L. 527-3), le législateur OHADA n'exclut pas du champ d'application du gage des stocks, les biens soumis à une clause de réserve de propriété. Ce qui permet d'envisager, plus largement le domaine du mécanisme.
Le gage des stocks est constitué par acte sous seing privé dénommé en droit OHADA « bordereau de gage de stocks ». Pour être valide, il doit en plus des mentions communes au gage (AUS, art. 96), comporter un certain nombre de mentions obligatoires énoncées à l'article 122 de l'AUS.
L'acte constitutif doit également mentionner le nom de l'assureur et de l'établissement domiciliataire du bordereau de gage de stocks. Sur ce dernier plan, le législateur OHADA se montre plus exigeant que son homologue français qui dans l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 portant relative au gage des stocks, a supprimé l'obligation d'assurance contre les risques d'incendie et de destruction qui pesait sur le débiteur d'un gage sans dépossession.
A contrario, la clause d'arrosage qui permet en droit français au créancier, en cas de diminution de la valeur des stocks, d'exiger le rétablissement de sa garantie ou le paiement de sa créance, s'attache à offrir un meilleur équilibre entre la protection du stock et l'intérêt du créancier.
Jusqu'en 2010, la constitution d'un gage sur stocks était conditionnée en droit OHADA à la dépossession du constituant. Ce qui présentait un frein non seulement à l'efficacité de la garantie, mais également à son attractivité. Le souci général d'harmonisation des règles relatives aux sûretés réelles mobilières a conduit le législateur à définir un nouveau droit commun du gage à l'occasion de la révision de l'AUS intervenue le 15 décembre 2010 à Lomé, au Togo.
Dorénavant, l'AUS envisage à la fois le gage sans dépossession et le gage avec dépossession. Il en résulte que le gage et le nantissement ne sont plus distingués à raison de la dépossession ou de l'absence de dépossession de la chose gagée ou nantie, mais à raison de sa nature corporelle ou incorporelle (Laisney L-J., Les gages de meubles corporels, in Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des sûretés de l'OHADA, RLDC 2012, p. 218).
À titre comparatif, en France, il a fallu l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 pour rompre avec l'ancien régime du gage des stocks institués par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 (JO 24 mars) relative aux sûretés et consacrer le gage sans dépossession (France, C. com., art. L. 527-1 ; sur l'ancien régime v. Cass., ass. plén., 7 déc. 2015, n° 14-18.435 ; Cass. com. 1er mars 2016, n° 14-14.401).
L'innovation est importante. Outre le fait qu'il permet au débiteur de conserver l'usage d'un bien qu'il apporte en garantie, le gage sans dépossession favorise la constitution de gages successifs sur un même bien. Cela renforce la capacité de crédit du constituant (Marceau-Cotte A., Lovells H. et Laisney L.-J., Vers un nouveau droit du gage OHADA, in Dr. & Patr., 2010, n° 197). Il met l'entreprise, le commerçant ou l'entreprenant, en mesure de mobiliser les liquidités dont il a besoin pour le fonctionnement de son activité tout en conservant l'usage des stocks.
En échange, le constituant du gage de stocks reste responsable de la conservation des stocks en quantité et en qualité. Outre l'obligation qui lui est faite de les assurer, il est prévu à l'article 110 alinéas 1 et 2 de l'AUS que « si le gage, quelles qu'en soient les modalités, a pour objet un ensemble de biens fongibles, le créancier peut exiger du constituant, à peine de déchéance du terme, qu'il en maintienne la valeur. Le créancier peut, à tout moment et aux frais du débiteur, obtenir du constituant ou du tiers convenu, un état de l'ensemble des biens gagés ainsi que la comptabilité de toutes les opérations le concernant. Si la constitution de la sûreté a donné lieu à l'émission d'un bordereau de gage de stocks, l'établissement domiciliataire du bordereau a également ce pouvoir ».
Il va de soi que par cette disposition, le législateur OHADA étend au droit commun du gage une disposition qui n'était jusqu'alors applicable qu'au nantissement des stocks.
Le gage des stocks se singularise des autres gages de meubles corporels et du nantissement de meubles incorporels également sur d'autres points. Alors que l'écrit est la seule condition de validité du gage classique, le gage de stocks doit, en plus d'être écrit, être enregistré au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM). L'inscription doit être prise, sous peine de nullité, dans les 30 jours suivant la signature de l'acte constitutif de gage.
Le bordereau de gage de stocks est remis au débiteur après inscription au RCCM.
Tandis que le gage classique peut être consenti par n'importe quel débiteur du créancier ou un tiers, le créancier bénéficiant d'un gage de stocks ne peut être qu'un établissement de crédit (ou une société de financement) qui a consenti un crédit à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l'exercice de son activité professionnelle. Sur ce point, le législateur à l'article 110, alinéa 3 de l'AUS prend le soin de définir la notion d'établissement de crédit : « Est considéré comme établissement domiciliataire au sens du présent Acte uniforme, tout établissement habilité à recevoir des dépôts du public ».
Conformément à l'article 98 de l'AUS, le gage de stocks est opposable jusqu'au « paiement intégral de la dette garantie en principal, intérêts et autres accessoires ». Ainsi, le constituant ne pourra « exiger la radiation de l'inscription ou la restitution du bien gagé » qu'après désintéressement complet du créancier, sauf convention contraire des parties. Ce sera le cas également, en cas de mainlevée ou de subrogation de la chose gagée.
À défaut de convention contraire, la durée de validité du bordereau est de cinq ans à compter de la date de son émission, sauf renouvellement.
Il est payable à échéance et doit pour cela être présenté au paiement. Le créancier gagiste ou porteur du bordereau devra s'adresser au débiteur à travers l'établissement domiciliataire.
L'article 105, alinéas 1er et 2, de l'AUS consacre les modes classiques de réalisation du gage que sont la vente forcée et l'attribution judiciaire.
L'alinéa 3 quant à lui, apporte une innovation majeure en introduisant la possibilité d'une attribution conventionnelle, dénommée « pacte commissoire ». Cette option qui figure également dans la réforme française de 2016 permet au créancier gagiste de se faire attribuer la propriété du bien gagé dès l'inexécution d'une obligation garantie et sans intervention du juge, dès lors que ce mode de réalisation a été convenu entre les parties.
En rendant la réalisation du gage de stocks simple et rapide, le législateur a à cœur de favoriser la liberté contractuelle et d'offrir une plus grande souplesse aux parties. Pour autant, l'attribution conventionnelle n'est pas sans danger. Elle présente pour le débiteur le risque d'être dépossédé d'un bien dont la valeur excède le montant de la créance garantie.
C'est d'ailleurs ce qui explique que le législateur OHADA limite le recours au pacte commissoire. Lorsque le débiteur est un particulier, le pacte commissoire n'est admis que si le gage porte sur une somme d'argent ou un bien dont la valeur fait l'objet d'une cotation officielle. Le fait que la valeur du bien objet du gage soit connue à l'avance limite les risques d'abus.
Au contraire, lorsque le débiteur est un professionnel, la possibilité de consentir un pacte commissoire est admise sans restriction à condition que le bien gagé fasse l'objet d'une estimation par un expert au jour du transfert.
La souscription du gage de stocks permet au créancier de se faire payer en priorité sur le bien en cas de procédures collectives ou de défaillance du constituant. Lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs gages ou nantissements, le rang des créanciers est déterminé par leur ordre d'inscription.
Lorsque la valeur du bien excède le montant de la créance garantie, l'article 105 de l'AUS oblige le créancier gagiste à consigner une somme équivalente au solde au profit des autres créanciers gagistes ou à verser directement cette somme au constituant en l'absence de tels créanciers.
Un instrument de crédit novateur.- Le financement constitue un des leviers majeurs de la création, du fonctionnement et de la compétitivité des entreprises. Pour faire face à leurs besoins de trésorerie, elles ont de plus en plus tendance à multiplier les sources de financement. La constitution d'une garantie sur les stocks permet aux entreprises d'optimiser au mieux leur capacité de crédit tout en conservant le droit de disposer de leurs stocks.
Tandis qu'il permet à l'entreprise de rechercher, en fonction des contraintes de marché et ses caractéristiques propres, la solution de financement la plus adaptée, le bordereau de gage de stocks, à l'inverse, permet au banquier prêteur de faire souscrire à l'emprunteur une garantie sur son stock qu'il pourra mobiliser le cas échéant.
Étant constitutif d'un effet de commerce, ce bordereau est destiné à être présenté au paiement à l'échéance. « L'exécution de l'engagement cambiaire souscrit par le débiteur garanti doit donc se traduire par la réalisation effective du paiement de la créance que représente le bordereau de gage de stocks » (Mba Owono C., Droit communautaire des affaires de la CEMAC, LGDJ, Lextenso, avr. 2016, 189).
La nature d'effet de commerce du bordereau est donc celle sollicitée en premier lieu. Ce n'est que lorsque le paiement n'intervient pas comme convenu, qu'il sera fait usage des garanties de paiement dont est assorti le bordereau de gage de stocks.
En pratique, le bordereau de gage des stocks est un titre négociable susceptible d'être transmis par voie d'endossement à l'occasion de la constitution du gage. Le législateur OHADA précise que cette transmission se fait dans les mêmes conditions qu'un billet à ordre avec les mêmes effets. Ce qui nous fait dire que le bordereau de gage des stocks est en réalité une catégorie particulière de billet à ordre. En tant que tel, il est à la fois, une garantie, un instrument de crédit et un effet de commerce au même titre que le billet à ordre.
Le bordereau de gage des stocks est à rapprocher du warrant. Soulignons à cet effet que si les deux mécanismes reposent sur des fondements juridiques différents, dans la pratique il est difficile de les distinguer (Cabrillac M., Mouly C., Cabrillac S. et Pétel P., Droit des sûretés, 9e éd., 2010, Litec, p. 568, n° 758). Comme pour rajouter à cette confusion, l'article 120 de l'AUS reprend les quatre formes de warrants dégagées par la pratique (warrant agricole, warrant hôtelier, warrant pétrolier et warrant industriel) sous la réglementation du gage de stocks.
Un instrument de crédit peu pratiqué.- Spécialement conçu pour les banquiers, le gage de stocks n'a pas rencontré le succès escompté. Avant la réforme de 2010 de l'AUS et de 2016 pour ce qui concerne le droit français, il était reproché au gage des stocks sa rigidité.
Sur ce point, les réformes énoncées ont accompli un effort considérable. En France, l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 et le décret D. n° 2016-1330, du 6 octobre 2016 adaptent le régime du gage des stocks prévu dans le Code du commerce afin, notamment, de le rapprocher du droit commun du gage prévu dans le Code civil.
Ces textes offrent la possibilité aux parties de choisir entre le gage de droit commun, prévu par le Code civil, et le régime spécifique du gage des stocks, prévu par le Code de commerce. Ils suppriment également, comme indiqué auparavant, la prohibition du pacte commissoire et allègent le formalisme du gage des stocks (D. n° 2016-1330, 6 oct. 2016, JO 8 oct., v. Gage des stocks : le bordereau d'inscription est modifié, RLDA nov. 2016).
Des auteurs doutent toutefois de l'opportunité de cette nouvelle réforme. C'est le cas de M. Zammith pour qui « le rapprochement entre le régime spécial du Code de commerce et le régime général du Code civil contribue à se demander si le maintien d'un cadre spécifique est justifié ». Selon l'auteur, la possibilité offerte aux parties de choisir l'un ou l'autre régime prive le régime spécial de portée réelle. Sans compter que le régime général offre sur plusieurs points des mécanismes plus favorables aux banques que le régime général (Zammith M., Le nouveau régime du gage des stocks est-il plus attractif ?).
Toujours est-il que l'un des intérêts majeurs du gage de stocks est de permettre au constituant de disposer des biens, objet du gage. Pour ceux qui détiennent des stocks importants de denrées ou de matières premières, il leur permet d'utiliser les stocks gagés dont ils ont besoin pour exercer leur activité professionnelle, à condition de le renouveler. Le débiteur concède un gage sur ses stocks sans devoir déplacer ceux-ci.
Sous l'ancienne législation, il était également reproché au gage de stocks de ne pas suffisamment protéger le créancier. Les nouveaux textes ont le mérite de préserver l'existence des stocks et maintenir une proportion suffisante entre les valeurs gagées et le montant des droits du créancier (Attard J., Gage de stocks : un régime plus libéral pour une meilleure attractivité, LPA n° 122, p. 11).
Le bordereau de gage de stocks présente à n'en point douter, un intérêt considérable pour les professionnels. La créance du bordereau est assortie de deux garanties de paiement : d'un côté, le stock objet du gage, et de l'autre, les garanties personnelles que représentent les personnes qui l'ont endossées lorsque celui-ci a circulé. Précisons que cette garantie est solidaire.
De même, l'article 93 de l'AUS, qui autorise la possibilité de constituer un gage sur les créances futures « à condition que celles-ci soient déterminées ou déterminables », étend singulièrement la capacité de crédit du constituant par la possibilité d'offrir en gage des biens qu'il n'a pas encore acquis.
Cela dit, le créancier n'est pas totalement à l'abri d'un risque de dissipation des stocks en dépit de la protection qui est faite par les textes OHADA et dans certains États, par la législation pénale sur le délit de détournement de gage (v. France, C. pén., art. 314-5).
D'autre part, malgré son attractivité pour les banques, nous ne pouvons nous empêcher de relever que le pacte commissoire est de nature à compromettre la poursuite de l'activité des entreprises en difficulté, lorsque celles-ci doivent en plus craindre l'attribution de leurs stocks gagés.
Enfin, le gage des stocks peut être apprécié sous l'angle de sa conformité aux exigences de la vie des affaires. De ce point de vue, notons que le gage des stocks n'est pas la seule sûreté susceptible de grever des marchandises. Le gage commercial, le gage sur fonds de commerce et la clause de réserve de propriété, s'appliquent également aux stocks.
Or, si l'effet économique de ces sûretés est identique (garantir au créancier un privilège de paiement), leurs régimes juridiques respectifs diffèrent. À titre d'exemple, alors que dans l'hypothèse du gage de stocks le débiteur n'a pas la libre disposition des stocks, l'exploitant dans le cadre d'un gage sur fonds de commerce peut librement disposer de ses stocks, à condition que l'exploitation n'en soit pas considérablement affectée.
Pour M. Martin Vrancken, cette différence de traitement est de nature à compliquer inutilement le paysage des sûretés réelles mobilières et à heurter le principe de sécurité juridique (Vrancken M., Actualités et perspectives du warrant ou (Le warrant. Comment il vécut, comment il est mort).
La publicité imposée au gage des stocks pose également un risque de discrédit du débiteur dont la solvabilité pourrait être mise en doute.
Toutes ces difficultés pourraient expliquer la réticence des établissements de crédit à garantir leurs créances par un gage de stocks, malgré l'intérêt majeur que présente ce dernier pour les entreprises et l'économie en général.
Sylvie Bissaloué - 18 avril 2019
Source : www.actualitesdudroit.fr