L'OHADA apporte-t-elle une réponse juridique au Covid-19 ?
CCJA, 1er avr. 2020, no 054/2020/CCJA/PDT, portant adoption de nouvelles dispositions pour les audiences de la CCJA.
Par Boris Martor, avocat au barreau de Paris, associé, Bird & Bird.
L'ESSENTIEL DROITS AFRICAINS DES AFFAIRES N° 5 - Mai 2020.
La crise du Covid-19 et ses conséquences en termes de confinement par exemple n'épargnent pas l'Afrique. La plupart des pays ont pris des mesures fiscales et financières au niveau national pour soutenir les entreprises et alléger leurs obligations. Les banques centrales ou de développement ont baissé les taux directeurs ou mobilisé des fonds pour accorder des financements urgents et soutenir l'économie. Dans ce contexte, on peut se demander si l'OHADA est en mesure de prendre des mesures pour la protection des entreprises.
La CCJA a su rapidement aménager son organisation : les audiences se tiendront à des jours et heures inhabituels, les présidents des chambres tiendront les audiences à juge unique pour rendre publiques les décisions en cours de délibéré, aucune procédure orale ne se tiendra durant les audiences, les justiciables assistant aux audiences devront respecter 2 m entre eux et le greffe publiera les décisions sur le site internet et en informera les parties. Rien ne semble avoir été adopté pour faciliter par exemple la tenue des différentes réunions et décisions annuelles et obligatoires des sociétés (conseils d'administration, assemblées, approbation des comptes, etc.). Il est important et urgent d'assouplir ces règles de manière temporaire pour recourir au système généralisé de visio-conférence qui est impossible en l'état, sachant notamment qu'un tiers des membres doit être présent au conseil de manière physique et que les statuts doivent prévoir expressément le recours à ces moyens. De même, pour permettre de reporter les délais d'arrêté et d'approbation des comptes annuels 2019, un assouplissement des textes est attendu par les opérateurs économiques. Il serait encore utile de permettre de rechercher des solutions allongées de termes ou de délais pour les sociétés en état de difficultés financières dans l'espace OHADA. Des mesures de suspension doivent être généralisées pour certains délais et actions ou responsabilités et pallier les risques liés aux procédures et voies d'exécution ou encore aux baux, matières régies par l'OHADA. Ce ne sont que quelques illustrations des sujets sur lesquels l'Organisation est attendue alors que de nombreux États ont pris dans d'autres régions du monde des mesures en quelques jours. Les États membres ne peuvent prendre de mesures dérogatoires contraires aux actes uniformes seuls si l'OHADA ne les autorise pas au moins temporairement. Passer par un processus de révision du Traité ou des actes est inadapté à la situation actuelle et suppose le respect des délais de revue des États et de la CCJA dans des délais longs de 90 et 60 jours. Une saisine de la CCJA est aussi en cours mais son avis sera sans doute rendu tard et finalement inutile eu égard à l'urgence actuelle. Un plan d'actions doit être mis en place avec des mesures sur les points ci-dessus. Le système institutionnel de l'OHADA n'est pas adapté à la situation inédite actuelle. Celui-ci devrait être rapidement repensé pour mettre en oeuvre ce plan au regard de la situation du Covid-19, riche d'enseignements juridiques, mais aussi de manière plus large, pour faire face à d'autres situations extrêmes.
L'OHADA doit être dotée des moyens de le faire pour adapter ses normes au gré des crises comme celle-ci mais aussi guider les États membres pour qu'ils puissent mettre en oeuvre les mesures urgentes de manière efficace. Son action doit concourir à préserver impérativement la pérennité du tissu économique subsaharien qu'elle a permis de construire au cours des 2 dernières décennies. Un groupe d'experts réunis autour du Secrétariat permanent pourrait, avec le conseil des Ministres, examiner comment adopter de manière unanime pour les États membres, un acte uniforme portant mesures urgentes avec renonciation de la CCJA et des États aux délais prévus par le Traité de l'OHADA.
Par Boris Martor, avocat au barreau de Paris, associé, Bird & Bird.
L'ESSENTIEL DROITS AFRICAINS DES AFFAIRES N° 5 - Mai 2020.