L'effort de publication du Droit en Afrique : une véritable dynamique à encourager
La publication du Droit est une question essentielle : elle est directement liée à la souveraineté des Etats et à leur attractivité économique. Pour cette raison, il faut reconnaitre les initiatives qui ont lieu en Afrique pour constituer, dans chaque pays, des bases de Droit. Mais au-delà, le reste du monde, notamment la France, serait bien inspiré de poursuivre la même dynamique.
Au mois de mai, le président Macron s'est rendu au Rwanda et a prononcé un discours à haute portée symbolique. Quelques mois auparavant, c'est l'initiative Choose Africa qui a bénéficié d'un soutien d'un milliard d'euros. Nombreux ont été, cette année, les signes qui témoignent d'une volonté de rapprocher France et Afrique. Sur le plan commercial, il était même question d'un « New Deal Africain », consistant entre autres en des partenariats industriels. Une intention louable, mais qui ne se concrétisera que si les entreprises et les investisseurs sont rassurés par l'existence d'un tissu juridique solide. La publication du Droit est une question essentielle : elle est directement liée à la souveraineté des Etats et à leur attractivité économique. Pour cette raison, il faut reconnaitre les initiatives qui ont lieu en Afrique pour constituer, dans chaque pays, des bases de Droit. Mais au-delà, le reste du monde, notamment la France, serait bien inspiré de poursuivre la même dynamique.
Le Droit comme levier de compétitivité en Afrique
Depuis le début de la pandémie, la reprise de la croissance est un objectif majeur de l'Europe et de la France. Cet objectif repose sur des leviers bien identifiés : la capacité à attirer des capitaux étrangers, la dynamisation de l'export, et l'internationalisation des entreprises. Or, ces dernières n'ont jamais autant navigué à vue. « Il faut s'attendre à vivre longtemps dans l'incertitude, la précarité stratégique, et à pratiquer une prospective martiale (...) », prédisait Yannick Blanc, président de Futuribles International, en plein cœur de la crise.
Cette « précarité » constitue sans aucun doute une entrave à l'entrepreneuriat. C'est ce qu'ont compris certains pays africains. Sans surprise, dès lors que les systèmes juridiques des Etats ne sont connus que d'une poignée d'initiés, ce manque de transparence freine les investisseurs. En effet, le risque de s'en remettre à un système non légitime ; ou pire, alimenter, malgré des volontés politiques affichées, par devers soi un système corrompu, a de quoi décourager.
Mais le continent, sûr de son réel potentiel, réagit ! Pour instituer un « New Deal » en Afrique qui ne soit pas qu'un effet d'annonce, des gouvernements et juridictions font la démarche de publier leurs textes de lois et décisions. Ce faisant, dans les pays où elle est lancée, cette dynamique s'avère très porteuse. Ainsi, le Rwanda, emblématique de cette volonté de transparence, se hissait en 2019 à la 29ème place du classement Doing business !... Soit à peine quelques rangs derrière la France.
Un enjeu de souveraineté
Mais il n'est pas ici question d'économie. Souvenons-nous : au début du siècle dernier, Max Weber distingue la domination traditionnelle, la domination charismatique et la domination rationnelle légale. Cette dernière, dont nous sommes en théorie familiers, rompt avec l'arbitraire des précédents et repose sur des règlements... écrits. Car entendons-nous bien : un Droit qui n'est pas publié est un Droit qui n'existe pas !
Partant, les Etats qui ne publient pas courent un risque : celui de voir leur autorité amoindrie au profit d'autres architectures de pouvoir. Ainsi, certains géants du numérique ne sont jamais cachés de vouloir donner « davantage de pouvoir aux individus aux dépens des grandes organisations comme les gouvernements ou l'armée » [1]. Est-il vraiment souhaitable qu'un acteur privé dispose, ou puisse disposer, de plus de données juridiques que les Etats eux-mêmes ?
La publication du Droit est un enjeu de souveraineté nationale. Et si un cadre de droit africain, l'OHADA, est en train de se structurer, il n'a pas vocation à se substituer aux Etats membres. Le processus d'unification juridique, par ailleurs sécurisant pour les investisseurs et les entreprises, doit se coupler à un processus de formalisation du Droit dans chacun des Etats. Et ce pour une raison simple : que chaque pays reste maître chez lui !
Pour une véritable doctrine de la publication du Droit !
En définitive, n'est-il pas paradoxal que les acteurs économiques investissent massivement dans leur transformation, mais dédaignent les leviers de croissance les plus simples ? Il suffirait aux gouvernements de rassembler leurs textes dans des bases accessibles à tous, et aux entrepreneurs de s'y référer, pour favoriser la transparence et stimuler la relance !
Gardons-nous de croire que la France fait beaucoup mieux que ses partenaires commerciaux : il est parfois aujourd'hui plus simple de consulter les décisions de justice à Abidjan qu'à Paris. Pourtant, sa tradition romano-civiliste devrait en faire un hérault de la publication ! Il y a seize siècles, l'empereur Théodose compilait dans un gros code les édits de ses prédécesseurs - et posait donc les bases de notre Droit public. Un siècle plus tard, l'empereur Justinien faisait de même avec les jurisprudences de Droit privé. Sur cette base, les ancêtres de nos juristes ont « appris à raisonner, déduire et systématiser » pour « ramener à des principes, à des règles, à un code » [2] la masse de décisions dont ils disposaient. Au XXIe siècle, la suite logique n'est-elle pas de porter haut et fort, en France et dans le monde entier, une doctrine de la publication qui accroit notre rayonnement ? Pourquoi la France, n'encourage-t-elle pas, voire ne finance-t-elle pas, la publication du Droit dans le monde ? En Afrique, la fourmi répondrait à la cigale : « Vous voulez travailler en Afrique ? Et bien, publiez maintenant ! ».