Droit de propriété : l'urgence de la réforme
Par André-Franck Ahoyo, Directeur adjoint des Entretiens Eurafricains à ASCPE.
La mise en place d'un environnement économique favorable et stable, permettant aux économies d'atteindre des seuils de maturité suffisants pour réussir leur diversification et attirer des investissements productifs, constitue un défi de taille. La règlementation du droit de propriété en est un des enjeux les plus urgents.
L'Afrique connaît une évolution sans précédent de sa démographie et de son urbanisation. Dans ce contexte global marqué par de nouveaux équilibres géopolitiques, de profondes mutations et des incertitudes relatives aux incidences du changement climatique, les changements ne sont pas aussi rapides qu'on le souhaiterait.
Certes, l'avènement du droit issu de l'OHADA a favorisé la mise en place d'un cadre attractif permettant d'assainir le droit des affaires pour les investisseurs, tant nationaux qu'étrangers. Le recul du risque juridique en Afrique subsaharienne en est résulté, mais des pans entiers du droit positif restent encore à régir. Le droit de propriété qui ne se réduit pas seulement à un problème juridique fait partie des réformes structurelles qu'il est urgent d'engager.
Le foncier : un rapport social
En effet, le droit de propriété touche aux droits sociaux les plus fondamentaux. Le foncier est le terrain sur lequel se joue, selon Maître Abdoulaye Harissou(1), la bataille pour le maintien ou le dépassement des inégalités sociales notamment lorsqu'elles concernent les pauvres, les plus démunis et les exclus marginalisés. En d'autres termes, pour paraphraser le Comité foncier et de développement de l'AFD, le foncier doit, avant tout, être considéré comme un « rapport social ».
En Afrique subsaharienne, le droit foncier s'est toujours écrit en pointillé. Il dépend de nombreux facteurs exogènes sur lesquels les États n'ont guère de prise : enclavement des territoires, sous équipement en infrastructures, faiblesse du marché intérieur, urbanisation et possession de ressources minières. Ces contraintes vont d'autant plus peser qu'il existe ou pas un cadre politique de la gouvernance du foncier dans un Etat donné permettant de faciliter l'enregistrement des droits fonciers, l'investissement dans le foncier agricole et la concentration de la propriété foncière.
Ainsi, l'insécurité juridique favorisée par la coexistence de droits coutumier et moderne dans la gouvernance du foncier et les difficultés récurrentes dans le processus d'immatriculation des terres font le lit d'un nouveau fléau, l'accaparement des terres, que l'on observe ici et là en Afrique.
Si la question foncière n'est pas prise à bras le corps et que des solutions adaptées et hardies ne sont pas fournies pour réguler la répartition des ressources et assurer une meilleure redistribution des richesses, il est fort à parier que ce n'est pas seulement une « croissance appauvrissante » qui nous guette mais un tsunami dont les effets sismiques risquent d'ôter à l'Afrique toute chance d'être au rendez-vous du 21ème siècle.
Article paru dans Le premier numéro de « La Lettre des Entretiens Eurafricains » de janvier 2016.
(1) Abdoulaye Harissou, la terre, un droit humain, Préface de Jacques Chirac et Abdou Diouf, ed. Dunod, Paris, 2011.