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La nouvelle médiation dans l'espace OHADA, pour un meilleur accès à la justice

  • 16/01/2018
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Le 27 novembre 2017, le Conseil des Ministres de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a adopté un 10e acte uniforme relatif à la médiation. Ce texte qui sera publié au Journal Officiel de l'organisation au plus tard le 27 janvier prochain, entrera en vigueur dans un délai de 90 jours à compter de sa publication.

Annoncé depuis 1999, l'adoption de cet acte a requis une concertation et des travaux des différentes commissions nationales OHADA, des unions monétaires de l'espace OHADA (UEMOA et CEMAC) et de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, cette dernière intervenant dans le cadre de l'accord de coopération qu'elle a signé le 26 octobre 2016 avec l'organisation. L'introduction de la médiation dans l'arsenal juridique de l'organisation confirme ainsi la volonté des Etats membres de promouvoir les modes alternatifs de règlements des conflits dans l'espace OHADA, et de rendre plus attractives leurs économies dont le système judiciaire non uniformisé laisse place à des divergences dans l'interprétation des textes par les juridictions nationales.

A défaut d'un système judiciaire uniformisé, le nouvel acte uniforme marque une avancée à plusieurs égards pour la justice civile et commerciale.

L'institutionnalisation des règlements amiables « traditionnels »

Selon une étude publiée par AfroBaromètre en mars 2017, après une enquête réalisée auprès de 53.935 personnes issues de 36 pays africains, 43% des personnes interrogées n'ont pas confiance en la justice, 33 % estiment que les juges sont corrompus et seulement 13% ont réglé leurs litiges devant les tribunaux durant les 5 dernières années. Quoique l'on puisse penser des résultats de cette étude, ils confirment les conditions défavorables de l'accès à la justice (frais de justice onéreux, défaut d'accès à un avocat ou aux textes juridiques) qui peuvent également s'expliquer par la prégnance des règlements amiables dits « traditionnels » moins onéreux. En effet, dans l'espace OHADA, où 57% de la population vit en zone rurale et parfois loin de toute infrastructure judiciaire ou professionnel de la justice, subsiste encore le règlement amiable des différends sous l'arbre à palabre ; les protagonistes débattant devant un jury formé par la population et un juge dont le rôle est souvent confié à une autorité traditionnelle.

Bien que certains Etats membres aient déjà eu recours à la médiation, par l'adoption d'un texte spécial ou la mise en place d'un centre de médiation, les réformateurs de l'OHADA ont souhaité donner un cadre légal uniforme à ce mode ancien de règlement amiable, afin d'améliorer les conditions d'accès à la justice dans l'espace OHADA, parmi lesquelles la possibilité d'avoir de multiples voies de recours.

La mise en œuvre simplifiée de la médiation dans l'espace OHADA

Organisé autour de 18 articles, l'acte uniforme relatif à la médiation encadre les modalités de recours à la médiation, les conditions de désignation du médiateur, et l'exécution forcée de l'accord de médiation.

L'article premier de l'acte uniforme définit de manière extensive la médiation comme « tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un désaccord (ci-après « différend ») découlant d'un rapport juridique, contractuel ou autre lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats ».

La médiation « ohadienne » se veut en principe accessible à tous, pour un différend commercial ou civil, indépendamment de l'existence d'une relation contractuelle et sans qu'il soit nécessaire d'attester l'existence d'un litige. Le texte énonce implicitement que la seule volonté des parties, qui souhaitent se faire « aider », constitue une condition essentielle à la mise en œuvre de la médiation, rappelant ainsi le principe de la liberté contractuelle.

Ainsi dès son entrée en vigueur, les citoyens des Etats membres, les entreprises locales ou étrangères pourront faire le choix d'une procédure simplifiée uniformisée de médiation qui devrait permettre un gain de temps considérable, quand la durée d'un procès et le délai d'obtention d'un jugement dans l'espace OHADA peuvent aller jusqu'à 1.095 jours (environ 3 ans) selon le dernier rapport Doing Business dans les Etats membres de l'OHADA 2017.

Le conseil des ministres de l'Organisation a opté pour une procédure simple qui peut être mise en œuvre par la partie la plus diligente même en l'absence de toute convention. Dans ce cas, c'est par une invitation écrite à la médiation, envoyée par tout moyen (sans précision dans l'acte uniforme), que la médiation peut s'organiser en cas d'acceptation par l'autre partie dans un délai de 15 jours à compter de la réception de l'invitation, et ce dans le respect du règlement librement choisi par les parties. Toutefois, lorsque les parties font le choix d'une médiation institutionnelle le règlement de cette institution s'impose à eux.

Afin de ne pas enfermer les parties dans la procédure de médiation, l'acte uniforme prévoit la suspension du délai de prescription.

Une fois la médiation acceptée, les parties pourront choisir librement et d'un commun accord un tiers médiateur, indépendant, impartial et libre de tout conflit d'intérêt, personne physique ou morale, sans distinction de nationalité, et/ou se faire assister dans la désignation du médiateur par une autorité de désignation. Là encore les réformateurs n'ont prévu aucune restriction sur le statut de l'« autorité de désignation ». Ils précisent seulement qu'il peut s'agir « d'un centre ou d'une institution offrant des services de médiation », tels, par exemple et de façon non exhaustive, le centre d'arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou ou le centre de conciliation et d'arbitrage du Mali. Il peut donc s'agir de centres de médiation situés dans un Etat non membre de l'OHADA. On peut dès lors y voir un nouveau marché où les professionnels du droit se trouveront en concurrence avec d'autres professions.

Le médiateur n'est pas juge, il a pour rôle d'aider les parties, assistées ou non de leur avocat, à trouver une solution à leur différend conforme à l'ordre public à partir des échanges et informations recueillies, sans leur imposer sa solution. Les informations communiquées lors de la procédure de médiation sont confidentielles et ne peuvent être divulguées que dans les cas limitativement énumérés par les articles 10 et 11 de l'acte uniforme relatif à la médiation.

Après divers échanges et réception du rapport d'expertise recommandé, le cas échéant, par le médiateur, la médiation prend fin dans le meilleur des cas par un accord écrit signé par toutes les parties et par le médiateur si les parties le souhaitent. Cet accord aura valeur de la chose convenue, c'est-à-dire qu'elle ne produira d'effets qu'entre les parties comme un nouveau contrat qui les obligent.

Afin de garantir l'exécution forcée de l'accord de médiation et de lui conférer autorité de la chose transigée, les parties auront le choix entre le dépôt au rang des minutes d'un notaire pour authentification des signatures et délivrance d'une copie exécutoire, ou une requête aux fins d'homologation de l'accord ou d'exequatur de la juridiction compétente. L'ordonnance d'homologation est rendue, après vérification de l'authenticité de l'accord et de sa conformité à l'ordre public, dans un délai de 15 jours ouvrables ; à défaut, l'homologation est réputée acquise.

S'il est appréciable que le texte limite le rôle de la juridiction saisie, il s'abstient d'apporter des précisions sur « l'ordre public ». L'interprétation de la notion d'ordre public se fera à la seule discrétion des juridictions nationales saisies, qui nous l'espérons, sauront regagner la confiance des citoyens et des acteurs économiques.

Enfin, notons que selon l'article 16 de l'acte uniforme les parties disposent de deux recours : un recours contre l'acte d'homologation ou d'exequatur devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) si l'une des parties estime que l'accord de médiation n'est pas conforme à l'ordre public et un pourvoi devant la CCJA en cas de refus d'homologation ou d'exequatur.

Une fois de plus, l'OHADA innove dans sa volonté d'améliorer l'environnement des affaires dans ses Etats-membres

La médiation est introduite quelques années après qu'elle a fait ses preuves dans l'amélioration de l'accès à la justice en France notamment et dans certains Etats-membres. De plus, grâce à une procédure simplifiée, la médiation devrait être prisée et accessible à tous. Il faut toutefois espérer, grâce à la formation de professionnels locaux et la multiplication des centres de médiation, que la médiation ne soit pas rejetée au motif qu'elle serait trop onéreuse. Les frais de médiation incluent souvent un droit d'ouverture du dossier de médiation dans les centres déjà en place dans l'espace OHADA (de l'ordre de 50.000 FCFA soit environ 75 €) les frais administratifs et les honoraires du médiateur. A ces frais, devront être ajoutés les honoraires des notaires ou frais d'homologation/d'exequatur, le cas échéant.

Gageons toutefois, que les Etats-membres se donneront les moyens de faire de la médiation un outil efficace dans l'amélioration des conditions d'accès à la justice et à l'environnement des affaires dans l'espace OHADA. Il pourrait s'agir de campagnes de sensibilisation en association avec les professionnels du droit, d'un contrôle à minima des frais de médiation afin qu'il reste accessible à tous ou encore de sessions de formations. Le la est donné à l'instar des formations dispensées à l'Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) de l'OHADA.

La tribune Afrique

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